Le rap : digne successeur de la chanson à texte ?
Si certains rappeurs comme Youssoupha revendiquent ce statut pour le rap (notamment dans son titre « Chanson française »), la majorité des néophytes en matière de hip-hop pourraient crier devant ce constat pourtant clair. Brel, Seth Geko, Léo Ferret, Médine, Barbara, Diam’s, voilà une liste d’artistes français qui, de prime abord, n’ont rien à voir. Et pourtant.
Le texte avant tout
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Légende : Le rap met à l’honneur les mots
La chanson française a toujours mis l’accent sur le texte, et si la variété n’a pas toujours été des poèmes chantés, les artistes comme Brel ou Ferré sont connus pour leurs textes et leur interprétation. Qu’il soit engagé ou simplement lyrique, le texte est le socle du morceau dans les deux cas, il y a un message à transmettre comme le dit la fameuse punchline de Médine : « J’fais pas du rap pour qu’on l’écoute, j’fais du rap pour qu’on l’réécoute ».
Le hip-hop français suit donc la voie de la chanson française, dans ses ramifications comme dans son éclectisme. À l’heure où le rock ou la musique électronique française est en anglais, le rap, lui, reste fidèle à la langue de Molière. Les classiques du rap français sont tous des chansons engagées ou jouant avec une certaine virtuosité des rimes et des allitérations. « Demain c’est loin », « Pitbull » (qui reprend une mélodie de Renaud), « Laisse pas traîner ton fils », sont des textes qui peuvent aisément figurer au Panthéon de la « Chanson française ». Le texte, le texte, le texte.
Un rap moins engagé
Pourtant, les nouveaux rappeurs sont moins dans l’engagement, aujourd’hui le rap est multiple, on peut toujours écouter les revendications d’un Kerry James, certes, mais on peut aussi planer avec PNL ou faire la fête avec Ninho. Mais ça aussi, c’est de la « chanson française ». Le titre de Soul King « Dalida » s’inscrit dans ce mouvement, l’apparition du vocodeur pour chanter aussi. Le rap devient plus qu’un style de musique, c’est dorénavant un genre qui comprend de multiples facettes.
Le rappeur est la nouvelle rockstar, le nouveau poète aussi, avec tout cela comporte de sulfureux. On connait souvent les rappeurs pour leurs frasques, avec le clash 50 Cent – The Game, ou pour leurs actions engagées, comme le rappeur Nelly et sa participation à l’événement de charité Ante Up for Africa, organisé à l’occasion d’un tournoi de poker, mais c’est simplement parce que le rap est devenu LE style musical par excellence. Il regroupe une multitude d’artistes et des sous-styles différents.
Un digne héritier de la chanson à texte ?
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Légende : Le rap est un véritable exercice d’écriture
Pourquoi alors, affirmer que le hip-hop est le digne et seul héritier de la chanson française ?
Parce que c’est le seul style qui embrasse toute l’histoire de la musique de l’hexagone. Les textes engagés des anarchistes comme Brassens entrent bien plus en résonance avec les textes des rappeurs que ceux de la nouvelle variété française. Mais le rap a aussi su se diversifier, apportant des chansons plus mélodiques, plus entraînantes, jusqu’à placer le texte au second plan dans certains cas. Cependant, l’essence de la chanson française, comme l’essence du rap, c’est et cela restera les mots.
Que cela soit pour décrire une condition (« La Bohème » de Charles Aznavour / « Petite Banlieusarde » de Diam’s), un engagement (« Les anarchistes » de Léo Ferré / « Arabian panther » de Médine), ou encore dépeindre son temps et son monde (« Hexagone » de Renaud / « Fenêtre sur rue » de Hugo TSR), les mots sont le vecteur de l’émotion, la mélodie ou le beat ne font que l’accompagner.
L’avenir du rap
La chanson française s’est construite comme un dérivé de la poésie : en effet, de nombreux poèmes classiques ont été ensuite mis en musique. Alors que chez certains, les paroles ne sont que secondaires, les classiques de l’hexagone, qu’ils soient de vieilles chansons de variétés ou des nouveaux titres de rap ont tous un dénominateur commun, la puissance du texte.
Comme la chanson française qui est devenue plus lisse avec le temps, espérons juste qu’une certaine partie du rap saura résister à l’appel d’un texte plus tout public, qui satisfait le plus grand nombre certes, parce que la saveur est plus générique.
La variété du style en fait son succès et c’est un moteur pour l’art qui ne fait que s’enrichir, mais il ne faudrait pas qu’à l’image de l’ancienne chanson française, le rap ne devienne qu’une musique de divertissement.
Lorsque Youssoupha affirme donc dans son superbe titre « C’est nous la chanson française ! », c’est plus qu’une punchline provocatrice, c’est un constat de fait. Un constat qui ne plaît pas à tous, mais, pour un art engagé par nature, c’est tout à fait naturel.