DR. DRE – COMPTON [CHRONIQUE]

DR. DRE – COMPTON [CHRONIQUE]

Please wait...


Les classiques de Dr. Dre dont The Chronic et 2001 sont dispo en vinyle sur le shop ici.

Compton: A Soundtrack by Dr. DreNote

STRAIGHT OUTTA COMPTON

Le Dr. nous dévoile son “grand finale” en même temps que le film sur ses débuts, la boucle est bouclée, un dernier tour de piste plein d’honnêteté, de fierté et de nostalgie pour clore une carrière monumentale.


Sortie : 7 août 2015

BEST TRACKS : Genocide, It’s All On Me, Deep Water, Just Another Day, Animals, Talking To My Diary TOP TRACK
Talking To My Diary

Straight Outta Compton, il est un Nigga With Attitude, il est le G-Funk, il est le Gangsta Rap, il est la West Coast, 16 ans qu’on l’attendait, il a pris du muscle mais sans lui le rap a perdu du poids : le Docteur est de retour pour une piqûre de rappel.
DR. DRE – COMPTON [CHRONIQUE]

30 ans de carrière, 30 ans de classiques : tout commença dans un nuage de Chronic, au sommet de Cali avec 2Pac il prit le game en Doggystyle et lui donna 3 enfants : Eminem, 50 Cent et The Game.
Malgré le succès il reste Still D.R.E et le deuxième joint est encore plus puissant que le premier, le game fait une overdose et n’est pas prêt d’aller en Detox.
Grâce à ses beats, il pèse plus lourd que Jay-Z et Diddy réunis, le Dr. n’a plus faim depuis qu’il a croqué la pomme.
Sous son Money Tree, il fut réveillé par un papillon sorti de son cocon : Compton.
Tout commença là-bas, tout finira là-bas, la m.A.A.d. City est toujours sa source d’inspiration et la base de sa 3ème prescription.

compton

La légende urbaine Detox, projet mythique qu’on nous a longtemps annoncé comme l’album rap ultime, ne sortira donc jamais.
Pourtant c’est tout l’inverse que semblaient indiquer les différents leaks de ces dernières années. On se souvient des deux plus connus, le sans inspiration Kush, un combo vu et revu : Snoop x weed x piano avec Akon à la place de Nate Dogg, du sous Chronic 2001 qui avait tout d’une régression. Pire, le 2ème extrait I Need a Doctor avec Skylar Gray au refrain n’avait plus rien de l’ADN musical du docteur, il lorgnait plutôt du côté du Eminem post-Relapse, ce qui se fait de pire dans le rap aujourd’hui (ok juste après la trap)… On sentait le malaise, la pression, l’impuissance et l’incapacité à se renouveler et à créer le buzz.
Depuis, chaque année son lot de fake release dates, mais Dre a enfin fait taire les rumeurs la semaine dernière dans son radio show The Pharmacy :

“I didn’t like it. It wasn’t good. The record, it just wasn’t good. I worked my ass off on it, and I don’t think I did a good enough job.”

Le roi est mort, vive le roi ! Detox n’est plus mais Andre Young est enfin de retour avec son 3ème et dernier album : Compton : A Soundtrack by Dr. Dre.

Directement inspiré par le biopic sur NWA, Straight Outta Compton, Dre est donc reparti d’une copie blanche et ça se sent. La pochette et l’intro nous mettent directement dans l’ambiance :  les lettres de Compton remplacent les lettres d’Hollywood avec vue sur les quartiers pauvres de South Central, le rêve a tourné au cauchemar :
Compton was the American Dream, sunny California with a palm tree in the front yard, the camper, the boat […] 47 homicides last year gave Compton one of the highest per capita rates in the country.

Comme à son habitude, le Doc a fait appel à une pléthore d’artistes : à la co-production DJ Dahi, Focus, DJ Khalil, Dem Jointz, Bink!, Cardiak et pour le plus grand bonheur des fans de hip-hop, DJ Premier.
Côté mic, presque tous les potes de Dre sont là, les anciennes gloires de la West Coast : Snoop, Ice Cube, Xzibit, Cold 187um ou encore The Game côtoient la nouvelle génération : Kendrick Lamar évidemment mais aussi les surprises Jon Connor, King Mez, Justus et l’excellent Anderson Paak. 50 Cent n’est pas là mais Eminem est bien présent et pas forcément pour le meilleur.
Marsha Ambrosius, Jill Scott et BJ The Chicago Kid assurent eux les refrains et les bridges de plusieurs tracks de l’album.

Musicalement, le son pur, clair, industriel et rationnel de 2001 laisse place à un ensemble plus chargé, baroque et imprévisible qui n’est pas sans rappeler le dernier album de Kendrick Lamar, To Pimp A Butterfly. Beaucoup plus organique donc, chaque morceau est composé de nombreux layers, les divers instruments live se déplacent autour de drums hip-hop modernes et puissants, parfois inspirés de la trap et entrecoupés d’effets vocaux, synthés, gunshots et autres bruitages nous rappelant évidemment la violence urbaine de Compton.
On connaît le perfectionnisme de Dre et les intros, les transitions et le mixage impeccable de chaque piste en sont une nouvelle preuve, mais ce qui rend vraiment exceptionnels ses albums c’est que cette science du détail est au profit de l’ensemble. Tel un réalisateur, Dr. Dre a toujours voulu donner un côté cinématique à ses projets, c’est encore plus le cas avec cet album, chaque morceau a sa propre identité mais le tout est supérieur à la somme des parties. Comme Kanye West, Dr. Dre n’est plus un beatmaker mais un producteur. Personne n’est là par hasard, Dre s’est toujours mis en retrait, pas seulement parce qu’il est moins à l’aise au micro que certains mais aussi parce qu’il sait qu’aucune grande œuvre ne se réalise seul et qu’il a besoin des autres pour matérialiser sa vision.

DR. DRE – COMPTON [CHRONIQUE]

Et celui qui a su rentrer dans la tête de Dre, après Snoop, Eminem et Game, c’est sans aucun doute Kendrick Lamar. À l’origine de son retour actif dans la musique, la nouvelle muse du docteur est omniprésente sur Compton.
Musicalement comme dit précédemment mais aussi lyricalement bien sûr avec les 3 meilleurs couplets de l’album et beaucoup de ghostwriting, poussant d’ailleurs Dre à s’aventurer dans des flows qu’il ne maîtrise pas forcément comme sur la bombe Genocide, le premier beat de l’album qui nous fait froncer les sourcils.
Présent sur 3 des meilleurs morceaux, Kendrick est une des grandes forces de ce Compton, à chaque passage il calme tout le monde, maîtrise son flow à la perfection et élève le niveau général par rapport aux deux précédents albums de Dre en terme de lyrics, débit et variations.
Il en profite même pour envoyer quelques piques subliminales à Drake, une manière implicite pour Dre de cosigner la substance face au style :

« You scared of my heist now
But still I got enemies giving me energy
I wanna fight now
Subliminals sending me all of this hate
I thought I was holding the mic down »

« They liable to bury him
They nominated six to carry him
They worry him to death but he no vegetarian
The beef is on his breath inheritin’ the drama like better than a Great White
Nigga, this is life in my aquarium! »

Mais ne vous méprenez pas, la star de l’album reste Dre, d’abord à la production, on passe par des ambiances sombres et expérimentales comme sur les bombes Genocide et Deep Water à des sons plus intimistes comme le nostalgique It’s All On Me avec un bon refrain de Justus et BJ The Chicago Kid. Le fameux piano signé Dre arrive enfin sur la deuxième partie de Darkside/Gone juste après un sample du regretté Eazy-E, Game retrouve la fougue de ses 20 ans sur un beat 100% hip-hop sans vaseline, une boucle indé bien sale comme j’aime. Le sommet de l’album restant la rencontre rêvée entre les légendes de chaque côte, DJ Premier et Dr. Dre, Animals. Le beat est en porcelaine, Anderson Paak marche sur l’eau avec son flow mi-chanté mi-rappé et sa voix ultra funky, l’arrivée de Dre fout des frissons avec quelques lignes bien saignantes :

« Why the fuck are they after me ?
Maybe ’cause I’m a bastard, or maybe ’cause of the way my hair grow naturally. »

Et quel kiff d’entendre Primo lâcher quelques scratches et raconter de la merde avec Dre à la fin du morceau !

Dr. Dre & DJ Premier

Tout n’est cependant pas parfait, le milieu de l’album nous envoie un trop plein de testostérone à la gueule, mêlant samples de guitare électrique et rappeurs énervés, un mélange rap/rock qui ne fonctionne quasiment jamais, Ice Cube est même un brin ringard :

« Cashed a lot of checks this mornin’, guess today was a good day »

Même défaut sur le bordélique Loose Cannons qui enchaîne plusieurs beats énergiques sans véritables transitions avec les voix puissantes de Cold 187um et Xzibit, le tout se termine en cris avec une outro horrible dans un délire Slim Shady années 2000. Et dommage qu’on ne retrouve justement pas le Shady des années 2000 sur Medicine Man mais bien le Eminem mono flow post-Relapse qui ne sait que rapper vite en gueulant, le pire couplet de l’album avec une ligne sur le viol de mauvais goût… Même Snoop semble avoir ajouté de la poudre protéinée à sa weed alors qu’on aurait bien voulu l’entendre sur un son plus laid-back et ensoleillé, là où il est le meilleur…
L’autre gros point faible de l’album ce sont les nouvelles têtes King Mez et Justus qui ne sont clairement pas au niveau du projet. Le premier rappe assez mal avec une voix légèrement autotunée et le second lâche des refrains juste moyens, à des années-lumière d’un Nate Dogg. Dès le mitigé Talk About It aux inspirations trap, on espère ne pas trop les croiser, malheureusement ils sont sur beaucoup de sons et ne tirent pas le projet vers le haut.

Et dans tout ça, Dre au mic ? On sait tous qu’il utilise des ghostwriters et on arrive même à reconnaître qui a écrit quel couplet mais bizarrement à chaque fois qu’on entend sa voix on la ferme et on écoute, ça s’appelle le charisme. Dre n’a jamais aussi bien rappé que sur cet album, il est en confiance, sa voix est pleine d’autorité, son flow incisif, ses lyrics ont beaucoup plus de substance et je ne parle pas de substances hallucinogènes. Tantôt introspectif dans It’s All On Me, tantôt subversif comme dans le bijou Animals dans lequel il fait référence à la mort de Michael Brown, Dre traverse Compton et revient avec émotion sur l’ensemble de sa carrière en levant les yeux et en s’adressant une dernière fois à Eazy-E dans une conclusion lumineuse.

Compton n’est pas le classique révolutionnaire qu’ont pu être The Chronic et 2001 mais un album beaucoup plus solide que ce que beaucoup attendaient, le Dr n’a rien perdu de son talent, son “grand finale” arrive en même temps que le film sur ses débuts, la boucle est bouclée, un dernier tour de piste plein d’honnêteté, de fierté et de nostalgie pour clore une carrière monumentale, laissant le rap orphelin d’un de ses plus grands architectes.

« This is the millennium of Aftermath
It ain’t gonna be nothin’ after that
So give me one more platinum plaque and fuck rap, you can have it back »

FacebookTwitterShare