BIG K.R.I.T. - 4EVA IS A MIGHTY LONG TIME [CHRONIQUE]

BIG K.R.I.T. – 4EVA IS A MIGHTY LONG TIME [CHRONIQUE]

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4eva Is A Mighty Long TimeNote

Album : 4eva Is A Mighty Long Time
Artiste : Big K.R.I.T.
Sortie : 27/10/2017
TOP TRACK : Price of Fame

 

« UNDERRATED » comme « CLASSIC » sont des termes beaucoup trop utilisés aujourd’hui pour parler de rap.
L’album n’est sorti que depuis une heure ? Pas grave c’est un classique.
Tu as entendu une bonne chanson de ce rappeur underground ? Il est underrated.
Les gens consomment la musique comme des kleenex, ne prennent plus le temps d’écouter vraiment et balancent des « underrated » à tort et à travers pour masquer leur manque de culture.

Je n’utilise pas ces termes à la légère et s’il y a un rappeur que je considère « underrated », c’est Big K.R.I.T.

On se souvient tous du mythique « The South got something to say » d’Andre 3000 aux Source Awards 1995, le Sud a longtemps été marginalisé alors qu’il est le berceau d’un des meilleurs groupes de tous les temps et de nombre d’artistes légendaires. Aujourd’hui ce n’est plus le cas, le Sud, et plus particulièrement la trap d’Atlanta, est devenu le centre de gravité du rap.
Malheureusement pour lui, Big K.R.I.T. ne vient pas d’Atlanta mais d’une ville moins connue du Mississipi et malheureusement pour lui – mais heureusement pour nous –, Big K.R.I.T. ne fait pas de la trap.

Difficile pourtant de sonner plus « Dirty South » que Big K.R.I.T., mais là je ne te parle pas de la trap sans âme de nos jours mais du « Southern Rap » originel : UGK, Goodie Mob, Scarface, Outkast, 8Ball & MJG, Luda, T.I
Souvent comparé à Pimp C, Big K.R.I.T. est fier de ses racines et on retrouve évidemment cet ADN dans sa musique : ces « sub » bondissants, ces guitares, ces samples soul, cette orgue possédée, cette 808 insaisissable, ces références au Sud et à ses légendes, ces refrains « chopped & screwed », cet accent si reconnaissable… mais il n’est pas seulement un des derniers représentants de ce « Country Rap » old school, il est aussi l’un des rappeurs les plus talentueux de sa génération.

Tu te souviens du morceau They Ready ? Les combos de Khaled sont devenus des marqueurs temporels, une sorte d’all-star game du rap et ce n’est pas un hasard si l’on retrouvait à l’époque Kendrick Lamar, J. Cole et Big K.R.I.T. sur ce même morceau pour représenter la nouvelle génération, ce n’est pas un hasard non plus si ce même Kendrick l’a cité dans son controversé namedrop sur Control, on se souvient également du posse cut 5 étoiles, 1 Train, conclut par un couplet rageur du rappeur du Mississippi.
Big K.R.I.T. a longtemps été considéré comme le futur « King Of The South » et tout le monde le voyait exploser comme Cole et Kendrick, il sait tout faire, à commencer par très bien rapper, son flow est impressionnant, sa voix charismatique, son écriture intelligente et poétique, il chante très bien, produit ses propres sons (et ses productions sont juste dingues) et comme si ça ne suffisait pas, il a juste lâché 3 mixtapes classiques : Krit Wuz Here, Return Of 4Eva et 4Eva N a Day.

Malheureusement, à l’image d’un Lupe Fiasco, il s’est fait broyer par la machine sans pitié qu’est l’industrie musicale, Def Jam a voulu en faire le rappeur mainstream qu’il n’est pas et sa musique a perdu son âme, deux albums ratés qui nous ont presque fait oublier à quel point Big K.R.I.T. est doué.

Débarrassé de ses chaînes, le rappeur du Mississipi est donc enfin de retour avec son premier double album en indépendant, 4Eva Is A Mighty Long Time… « 4Eva » dans le titre, tu es prévenu !
Pas fan des doubles albums, souvent trop longs, il est très difficile de garder notre attention sur plus de 20 morceaux et très peu ont réussi cet exploit, on pense évidemment à 2Pac, Biggie, le Wu-Tang et Outkast, plus récemment Vince Staples, à part ça pas grand-chose… Nas, Jay-Z ou encore T.I. s’y sont cassés les dents… Un choix très risqué pour un come-back donc.

Intelligemment splitté, 4Eva Is A Mighty Long Time tient la distance grâce à l’équilibre et le contraste entre ses deux disques, le premier intitulé Big K.R.I.T. nous emmène en plein « Dirty South » avec les légendes T.I., UGK, Cee-Lo, Sleepy Brown ou encore Organized Noize avant une deuxième partie plus musicale et personnelle mêlant des influences soul, gospel et jazz dans laquelle Justin Scott dévoile l’homme derrière le rappeur.


 

PART I : BIG K.R.I.T.

 
 
Comme d’habitude avec Big K.R.I.T., l’intro nous en met plein la gueule, une instru épique qui monte en puissance, Krizzle est en feu, on sent qu’il a faim, frustré qu’on ne le reconnaisse pas à sa juste valeur, il met ses tripes dans chaque rime et son flow impressionne sur les nombreux bangers de cette 1ère partie musclée :

« Look how they hate me but copy me
Possibly was the one with components and properties
To be the greatest of all time but you won the geography lottery. »


Il prend à la gorge les autres rappeurs dans le puissant low-tempo Confetti et sa guitare électrisante, Big K.R.I.T. n’en a que faire des accolades, il veut la couronne.
Désireux de retourner en terrain conquis après ses échecs chez Def Jam, on retrouve quelques pionniers du Southern Rap, l’ancien « King Of The South » essaie comme il peut de suivre le flow incontrôlable de Big K.R.I.T. dans le frénétique Big Bank, les légendes Organized Noize et UGK se croisent une dernière fois et le Cee-Lo de Goodie Mob ressuscite dans l’un des meilleurs morceaux de l’album.

Fondamentalement underground mais musicalement accessible, Big K.R.I.T. est un véritable songwriter, dans la lignée d’un J. Cole, les transitions chantées, les changements de beat et de mélodie, les hooks entêtants et les sons plus « commerciaux » en attestent : le vintage 1999 et sa ligne de basse contagieuse nous emmènent dans un strip club d’Atlanta quand le laid back Lay Up semble tout droit sortir d’un album de Bone Thugs, une confirmation de plus des talents de chanteur de K.R.I.T. s’il en fallait une.
Les interludes rappellent également cette ambiance que l’on retrouvait dans le rap sudiste des années 90, une époque où les albums « classiques » étaient vraiment des classiques, une nostalgie jamais passéiste mais toujours présente dans sa musique, à l’image d’un Joey Bada$$.

Responsable de la plupart des productions, Big K.R.I.T. nous rappelle qu’il n’est pas seulement un rappeur hors pair, les quelques invités qui viennent lui prêter main forte se nomment Mannie Fresh, Organized Noize ou encore Dj Khalil, de quoi solidifier la couleur « South » de l’album.
La fameuse 808 qui se ressemble sur tous les sons trap aujourd’hui trouve une nouvelle vie dans la MPC de K.R.I.T., la caisse claire est virevoltante, jamais linéaire, toujours imprévisible, les basses et les sub donnent un relief incroyable aux morceaux sans jamais prendre le dessus sur l’harmonie générale. Un album à impérativement écouter au casque ou sur des enceintes, évitez les écouteurs si vous voulez profiter des subtilités de la production et évitez la voiture si vous voulez rester en vie, Subenstein risque de faire péter les enceintes de la Cadillac !

Les samples avaient cruellement manqué à ses albums par rapport à ses mixtapes, bridé par des contraintes légales et budgétaires, le talent de producteur de K.R.I.T. n’a pas pu s’exprimer à sa pleine mesure chez Def Jam, on se souvient notamment de la reprise douloureuse de MT. Olympus sur Cadillactica… Sans ces contraintes, Big K.R.I.T. retrouve, pour notre plus grand plaisir, ces samples soul mélancoliques qui le caractérisent, comme dans le bijou Get Away qui conclut ce 1er disque.


 

PART II : JUSTIN SCOTT

 
 
L’orchestrale intro Justin Scott lance la 2ème partie plus organique et tamisée, le jazz de Robert Glaspert est sublimé par la voix de velours de Bilal, le blues Miss Georgia semble hanté par le fantôme d’André 3000 et la trompette de Keyon Harrold fait résonner la souffrance de Big K.R.I.T. qui tente de fuire ses démons dans un gospel lumineux.

Après l’arrogance du rappeur, c’est la vulnérabilité de l’homme Justin Scott que l’on découvre, il évoque ses propres contradictions dans l’excellent Mixed Messages :

« I got a whole lotta, mixed messages, in my songs
Am I wrong to feel this way?
Revolutionary, although I’m free
I got me a lover, but I still wanna cheat
I wanna be saved, but it’s fuck the police
Don’t wanna be here, but I’m too scared to leave »

Nous rappelant Kendrick Lamar dans U, c’est un K.R.I.T. éméché que l’on retrouve sur le sombre Drinking Sessions, le rappeur se livre sur les dures réalités de la vie de star :

« I’d be the biggest star, they told me
Signed my name on that line and when I die, that’s when it’s over
Moving on to the set, I was just a talented black kid
But to them, I looked like a check
Another five years of slaving and then it’s on to the next
I was tryna be what I envisioned as a child
A king ain’t a man of God when ain’t no church in the wild
Shit been fucked up ’cause they don’t talk about Christ
Everybody trying to die young but who gon’ talk about life? »

La célébrité et la dépression semblent être deux faces d’une même pièce, Big K.R.I.T en vient même à regretter sa vie simple d’avant dans le sublime Price Of Fame :

« Lifestyles of the rich and famous
That lifestyle left a lot of rich folk brainless
To the temple, yeah we were broke but that life was simple
Besides, food is food, water is water, air is air, the rest is mental
I did without until I did within
I said on beat what I wrote in pen
I gave my all without giving in
But it’s a thin line between heavenly divine and living a life of sin »

Sa nouvelle vie est faite de tentations mais sa foi inébranlable éclaire son chemin et éloigne le diable dans un des gospels les plus funky de tous les temps !


Le temps, justement, a semblé très long depuis son dernier projet, le rappeur revient de très loin, il s’est personnellement endetté pour cet album qui sonne comme la dernière chance, il aurait pu tout plaquer mais il s’est battu et a su se relever après les deux échecs chez Def Jam.
Il n’est pas à la place où il devrait être et il donne tout ce qu’il a pour rattraper ses erreurs, il est enfin de retour et son âme et ses tripes sont dans cet album.

Si on se demandait si Big K.R.I.T. allait un jour avoir le succès qu’on lui prédisait, une seule question subsiste aujourd’hui : quand va-t-on réaliser qu’il est le meilleur rappeur du Sud depuis André 3000 ?

Les classiques Return Of 4Eva et 4eva N a Day sont à chopper en vinyle sur le shop.

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