J. COLE – BORN SINNER

J. COLE – BORN SINNER [CHRONIQUE]

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Born Sinner
Note

FROM HELL TO HEAVEN

« It flows from darkness to light, from hell to heaven, depression to happiness »


Sortie : le 18 Juin

BEST TRACKS : LAnd Of The Snakes, Power Trip, Mo Money, She Knows, Rich Niggaz, Let Nas Down TOP TRACK
Power Trip

Bon habituellement je ne suis pas pour les chroniques avant la sortie de l’album, d’abord parce que je n’aime pas télécharger les leaks et préfère attendre la sortie officielle et ensuite car je pense qu’un bon album met du temps à s’apprécier à sa juste valeur.
Pour ce nouveau J. Cole je vais faire une exception puisque le stream officiel a été diffusé et que l’attente autour du projet mérite un article en conséquence.

Si vous ne connaissez pas encore Jermaine Cole, ce jeune MC de Caroline du Nord a bougé à New-York avec un dollar et un rêve : percer dans le rap.
Il s’est illustré sur le circuit des mixtapes en produisant la quasi totalité de ses projets.
Repéré par Jay-Z grâce à son classique « Lights Please » et signé sur Roc Nation, Cole avait su attirer les projecteurs grâce à ses excellentes tapes « The Come Up », « Friday Night Live » et « The Warm Up ».

Co-signé par les plus grands, salué par la critique, tout le monde attendait déjà son premier album « Cole World : The Sideline Story » comme un classique.
Mais un peu à l’instar de son contemporain sudiste, Big K.R.I.T., J. Cole n’a pas réussi à transformer l’essai.
Torturé entre son intégrité artistique et la nécessité de vendre, l’échec en radio de « Who Dat », « Higher » et « Blow Up », trois bangers validés par Hov’, poussa inévitablement Cole à se travestir pour éviter le flop commercial… le résultat fut un album mitigé entre sincérité et superficialité.
Pourtant loin d’être mauvais musicalement – le sample de « The New Workout Plan » est quand même dingue – le single « Work Out » fut symptomatique de cette pression mainstream et sera à l’origine d’un des meilleurs titres de « Born Sinner ».
Vous en avez bien sûr entendu parler, la déception de Nas à l’écoute de « Work Out » a bouleversé son plus grand fan qui s’est nourri de cet échec pour accoucher du magnifique « Let Nas Down ».

Pour ce nouvel album, comme à son habitude Cole prend en main la quasi-totalité de la production – Jake One sur « Mo Money » – et très peu de featurings sont présents exceptés pour quelques refrains.

On dit souvent que les chefs d’œuvre naissent du désespoir et de la souffrance, c’est ce que Cole a traversé durant l’écriture de « Born Sinner » :

« It flows from darkness to light, from hell to heaven, depression to happiness »
Il nous le confirme dès l’intro : « It’s way darker this time… »

J. ColeLe ton est donné, le Cole aseptisé de « Can’t Get Enough » n’est plus et laisse place au pêcheur tourmenté attiré par le côté sombre, symbolisé ici par le fameux mythe conspirationniste des Illuminati.
« Born Sinner, the opposite of a winner », oppressé par le succès mais fui par la gloire, Cole s’est perdu musicalement et c’est dans les méandres de son âme que la lumière va rejaillir.
Si le fantôme de Biggie flotte sur cette intro du new-yorkais d’adoption, ses vrais influences sont d’abord Nas, Kanye, Pac et bien sûr Jay :
« Sometimes I brag like Hov,
Sometimes I’m real like Pac ».

Entre égo-trip et introspection, cette entrée en matière va esquisser les traits du diable auréolé mais également tracer les contours de son enveloppe charnelle.

Les punchlines et le flow incisif de Cole sont soutenus par des drums baroques clairement inspirés par Timbo :

« Re-adjusted my target audience, cause it’s obvious
I’ve gone astray, losing my way like Timberlake
Produced by Timbaland on that goddamn FutureSex/LoveSounds »

Les chœurs et les violons symbolisent eux son cheminement spirituel :

« What’s playing in my mind? Just the sound of my whole career
Crashing burning, the thing that I mostly fear
Was on track for the first two years
Until I let the Devil steer, now what have we here
Now I got to mask my tears, but I ain’t never letting you go again »

Une réflexion salvatrice qui va permettre à Cole de faire face à ses contradictions pour se réintroduire sans artifice en reprenant la fameuse line de Jay dans « P.S.A.» :

« ALLOW ME TO RE-INTRODUCE MYSELF, MY NAME IS COLE ».

Première intervention du pasteur qui va précéder le thème de la tentation dans le très bon « LAnd Of The Snakes » reprenant avec brio le synthé du classique d’Outkast « The Art Of The Storytelling Pt. I ».
Et si je suis d’habitude hostile aux samples déjà mystifiés par d’autres artistes, il est ici en parfaite cohérence avec le reste de l’album.
Les chœurs féminins au refrain et le pont à la fin du morceau ajoutent un vrai plus et nous montrent l’évolution de Cole à la production. Encore à l’image du producteur de « The 20/20 Experience », il veut donner cette impression de mouvement à l’album et refuse de se limiter au basique « boucle/couplets/refrain ».

Power TripOn a tous déjà entendu le premier single, « Power Trip », mais ça ne va pas nous empêcher de le redécouvrir et de l’apprécier encore plus dans le contexte de l’album.
Nourri de ses erreurs passées, Cole arrive ici à sortir un tube qui lui ressemble et qui retranscrit son ultra-sensibilité.
Sur des drums encore une fois très inspirés par le travail de Timbo, la beauté du sample est magnifiée par un synthé aérien et des chœurs assurés par J. Cole lui même.
On regrette presque la présence de Miguel qui donne un côté RNB un peu mielleux au refrain alors que la partie chantée par la voix éraillée de Cole fait des merveilles.

Petit interlude, on va pouvoir souffler… Naaaaah, Cole veut simplement baisser notre garde pour nous balancer un uppercut !
Des basses profondes, un synthé diabolique et des punchlines métaphoriques sur le thème de l’argent, court mais très efficace :

« Still broke compared to niggas with old money
I mean the type of niggas that laugh at Hov money
Billionaires with Petroleum and coal money
Probably kill themselves if they had Cole money »

Back from the street to the church pour le surpuissant « Trouble ».
Un beat monumental parcouru par des chœurs désespérés et un refrain rageur…

« I said set it off on my left, set it off on my right
I said liquor all in my breath,
bitches all in my sight
I said real niggas trying to fuck,
fuck niggas wanna fight
I said gun shots into the air, but I ain’t scared for my life »

…malheureusement gâché par un flow pantouflard de Cole qui montre ses limites…
Mais même si Jermaine n’aura jamais le flow de Hova ni la maîtrise lyricale du God’s Son, on ne l’écoute pas pour ça mais plus pour sa sensibilité et sa sincérité qui le rendent humain.

Retour du pasteur qui introduit « Runaway » et fait légèrement baisser la pression : Cole nous raconte ses difficultés relationnelles sur un beat posé, le refrain est bien en dessous du hook de « Trouble »; rien de transcendant donc mais pas mauvais non plus, un son de mixtape.

Born Sinner DeluxeMais pas de panique les cordes en fin de morceaux servent de magnifique transition vers la bombe de l’album, « She Knows ».
Les octaves graves du piano sont rattrapées par une voix féminine filtrée et une basse profonde… des putains de frissons !
Un background surpuissant nécessaire à la dynamique de l’album, le flow est ici d’une précision irréprochable et le refrain impeccable.

Pose, un sample de harpe contemplatif, des cordes et des chœurs feutrés sur des drums toujours aussi travaillés permettent à Cole de réfléchir sur les méfaits de l’argent.
Une plume affûtée, un flow juste ainsi qu’un  très bon refrain chanté font de « Rich Niggaz » un potentiel grower, le genre de son discret que tu vas surkiffer au fil des écoutes. Le tout est magnifié par une outro à la guitare qui souligne encore les progrès artistiques de Cole.

Le pasteur est remplacé par un gospel qui introduit la partie lumineuse de l’album.
Avant de trouver le paradis, Cole revisite le mythe d’Adam et Eve en compagnie de Kendrick Lamar et de l’esprit d’A Tribe Called Quest.
Vous avez bien sûr reconnu le sample jazzy d’ « Electric Relaxation », retravaillé ici avec des drums funky qui associent basses rondes et claquements de doigts.
Un beat sobre mais non moins efficace qui nous permet de nous focaliser sur les lyrics de Cole. Petit regret pour ce « Forbidden Fruit », Kendrick Lamar, meilleur rappeur de sa génération, est cantonné à un bout de refrain.

Toujours plus attiré par le côté sombre des artistes, « Chaining Day » est le morceau que j’ai le moins apprécié de l’album, un beat satiné et un refrain moins réussi que sur les autres pistes, pas un mauvais morceau en soi, mais rien de comparable avec les autres bombes de l’album.

Heureusement le séquencing du skeud est excellent et chaque danger de ventre mou est tout de suite effacé par un gros banger ici encore camouflé par le terme « Interlude ».
« Ain’t That Some Shit » est un uptempo redoutable qui va permettre à Cole d’accélérer son flow et de nous lâcher quelques gimmicks bien senties.

Deuxième gros single de l’album, le fameux « Crooked Smile » avec le groupe R’n’B TLC, un crossover à l’ancienne comme on n’en voit plus en 2013.
Le beat est clairement influencé par les productions de Kanye West époque « College Dropout » : un piano funky et les chœurs des deux chanteuses de TLC traités comme des samples pour un résultat qui m’a fait penser à « All Falls Down » de Ye et aux bons vieux crossovers époque G-Unit du style « Wanna Get To Know You », « Groupie Love » ou encore « Thug Love » de Fif’.
Un son qui a le potentiel de devenir le plus gros tube de J. Cole, les chœurs façon gospel en outro sont excellents et raccord avec la thématique spirituelle.

Aren't We All SinnersOn arrive maintenant au bijou de l’album, « Let Nas Down ».
Soutenu par un saxophone divin, Cole livre un hommage touchant à son idole Nas. Un peu à l’image de Kanye pour Jay dans « Big Brothers » – dont vous pourrez noter le clin d’œil au refrain –, Cole se transcende et nous prend aux trippes avec un storytelling poignant :

« Long live the idols, may they never be your rivals
Pac was like Jesus, Nas wrote the Bible
Now what you’re ’bout to hear’s a tale of glory and sin
No I.D. my mentor now let the story begin »

L’album se termine sur une note positive avec le titre éponyme – malgré un refrain dispensable –, une conclusion qui résume les tourments qu’a dû traverser Cole pour se retrouver :
« This music shit is a gift, but God help us make it ’cause this music biz is a cliff »
Celui-ci s’achève comme il a commencé avec des chœurs religieux, mais cette fois-ci emplis d’espoir.

« Born Sinner » réussit là où « Cole World » avait échoué, plus sombre, plus mature, plus sincère, plus précis, plus maîtrisé, plus abouti musicalement et plus ambitieux, ce deuxième essai de J. Cole lui a été salutaire artistiquement et humainement.
Il se livre dans toute son imperfection et réussit enfin à sortir un album qui lui ressemble; comme le disait si bien Kanye West dans « Touch The Sky » :

« I’m trying to right my wrongs, but it’s funny how the same wrongs help me write this song. »

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