Le vinyle de To Pimp A Butterfly est dispo sur le shop ici.
FROM THE CATERPILLAR TO THE BUTTERFLY TO THE CATERPILLARS
La musique de Kendrick est déjà immortelle mais le gamin de Compton ne l’est pas et 2 Pac est là pour lui rappeler. Il n’a plus le temps de freestyler à l’arrière de son van, chaque minute de cet album est là pour servir son message.
Sortie : 16 mars 2015
BEST TRACKS : Wesley’s Theory, King Kunta, Alright, Hood Politics, How Much A Dollar Cost, The Blacker The Berry | TOP TRACK How Much A Dollar Cost |
Il est sans aucun doute le rappeur le plus talentueux de sa génération, certains le voient comme le sauveur du rap, le digne successeur de 2 Pac, et ce n’est pas un hasard si 20 ans après Me Against The World, Kendrick Lamar vient le ressusciter, littéralement et spirituellement, avec son 2ème album To Pimp a Butterfly.
Il y a 2 ans, telle une chenille enfermée dans son cocon, Kendrick nous contait avec réalisme et poésie sa jeunesse sans espoir dans les rues de Compton, un voyage introductif à l’issue funeste. Désormais classique, ce projet a permis à Kendrick de prouver son immense talent et ainsi briser son cocon et déployer ses ailes pour accéder au statut de superstar du rap.
FROM THE CATERPILLAR TO THE BUTTERFLY
Un nouveau statut qui offre plus de pouvoir mais aussi plus de responsabilités et de pression. Entre les tentations, l’argent qui coule à flot, l’égo, la jalousie, l’hypocrisie, l’isolement, la censure… difficile de se souvenir d’où l’on vient.
Combien d’artistes se sont brûlés les ailes après une telle ascension ?
Son mentor Dre est le premier à lui rappeler :
“Remember the first time you came to the house?
You said you wanted a spot like mine
But remember, anybody can get it
The hard part is keeping it, motherfucker”
Mais Kendrick semble avoir une détermination à toute épreuve qui le tient sur le droit chemin, tel un prophète, il semble investi d’une mission : délivrer un message de respect et d’espoir qui trouve son paroxysme dans le premier single “I”.
Musicalement l’album est aussi ambitieux que lyricalement, plus dense et moins accessible que Good Kid m.A.A.d. City, Kendrick va à l’opposé de tout ce qui se fait aujourd’hui, et c’est tant mieux.
Beaucoup plus West Coast dans la couleur, le P-Funk de Georges Clinton est omniprésent et côtoie la soul vintage des Isley Brothers, on se retrouve au milieu d’une B.O. de Spike Lee et d’un album d’Outkast, le jazz et les instruments live remplacent la 808 et les synthés de cette trap boo boo ! La musique noire des années 80 est passée en revue et mixée à des éléments rap comme les drums bouncy de Pharrell ou les scratches de Pete Rock.
La voix de Kendrick est un instrument à part entière, son flow n’a jamais été aussi versatile, il expérimente sans cesse, passe du spoken word au rap brut, chante, crie, pleure, change de voix… il est le rappeur le plus créatif vocalement depuis Lil Wayne – sans l’autotune -.
Comme tous les projets de Kendrick, l’ensemble est d’une cohérence et d’une homogénéité sans pareil, très peu d’artistes m’ont demandé un tel niveau d’implication, chaque chanson a un millier de layers, de subtilités et de variations, To Pimp A Butterfly est un album qui mérite du temps et qui marquera le sien.
La musique de Kendrick est déjà immortelle mais le gamin de Compton ne l’est pas et 2 Pac est là pour lui rappeler. Il n’a plus le temps de freestyler à l’arrière de son van, chaque minute de cet album est là pour servir son message et c’est certainement l’immense qualité et paradoxalement le « défaut » de cet album : à l’inverse de Good Kid m.A.A.d. City, peu de tracks de To Pimp A Butterfly peuvent être vraiment kiffées en dehors du contexte de l’album, rendant une écoute plus légère quasiment impossible. Personnellement je juge un artiste d’abord sur ses albums et pas seulement ses « hits », j’aime être bousculé par l’art et c’est même ce que je recherche mais Brother Ali m’a dit quelque chose qui m’a marqué et que je trouve assez juste :
« There is less music devoted only to a message but what Kendrick is doing is mixing the party with the message, and he is brilliant at it, and it’s more effective than JUST the message ».
Moins fun que Good Kid m.A.A.d. City, To Pimp A Butterfly est un manifeste socio-culturel et profondément pro-black. L’incroyable cover réalisée par le photographe Denis Rouvre nous indiquait cette direction, c’est confirmé dès le sample introductif « Every Nigga Is A Star » de la B.O. du film éponyme, la couleur est affichée : un noir brillant et conquérant.
Kendrick ne nous décrit plus sa vision de Compton, il est sorti de son cocon et doit affronter le monde dans toute sa complexité, un monde matérialiste, superficiel, oppressant et difficile à déchiffrer :
« I remember you was conflicted, misusing your influence
Sometimes I did the same, abusing my power, full of resentment
Resentment that turned into a deep depression
Found myself screaming in the hotel room
I didn’t wanna self destruct, the evils of Lucy was all around me
So I went running for answers until I came home
But that didn’t stop survivor’s guilt
Going back and forth trying to convince myself the stripes I earned
Or maybe how A-1 my foundation was
But while my loved ones was fighting the continuous war back in the city, I was entering a new one
A war that was based on apartheid and discrimination
Made me wanna go back to the city and tell the homies what I learned
The word was respect
Just because you wore a different gang colour than mine’s
Doesn’t mean I can’t respect you as a black man
Forgetting all the pain and hurt we caused each other in these streets
If I respect you, we unify and stop the enemy from killing us
But I don’t know, I’m no mortal man, maybe I’m just another nigga”
Ce poème que l’on découvre par fragments tout au long de l’album est la clé.
De l’intro produite par George Clinton et Flying Lotus jusqu’à sa conversation onirique avec 2 Pac, chaque chanson nous raconte ce voyage juché d’embûches qui l’a mené vers la vérité, ce combat introspectif contre ce nouveau monde.
Fantasmant sur le pouvoir mais craignant de céder aux tentations, l’album débute avec un Kendrick en plein conflit intérieur. Rappant dans la peau d’un pimp, il fait la rencontre d’une mystérieuse femme que l’on devine être Lucy – fer -. Tourmenté par le pouvoir, il devient progressivement King Kunta, il se sent puissant comme un roi mais oppressé comme un esclave, ceux qui ne voulaient pas le voir réussir lui tendent maintenant la main, pour mieux lui couper les ailes et lui réserver le même sort qu’à Kunta Kinte.
Mais au lieu de se lancer dans un combat perdu d’avance contre un ennemi bien plus fort que lui, tel IP Man il se sert de la force de son adversaire, il se laisse « Institutionalized » pour atteindre le plus de monde possible avec son art. Difficile de danser avec le diable sans égarer son âme et c’est un Kendrick plus bouleversé que jamais que l’on retrouve dans sa chambre d’hôtel. Comme un écho négatif au message d’espoir et de confiance en soi qu’est I, Kendrick finit en larme après avoir crié combien il se haïssait. C’est seulement en retournant à ses racines, dans sa famille à Compton, qu’il comprend qu’il avait déjà les réponses : il n’est pas né papillon, il a longtemps été une chenille, il a vu les conséquences de la pauvreté, du racisme, il a vu les ravages de l’alcoolisme, de l’addiction aux drogues, il a vécu dans un monde bien plus froid et dangereux, il connaît le prix de la vie, a côtoyé la mort comme un vieil ami, il connaît ses valeurs, sait d’où il vient et où il veut aller.
Comme le dit si bien Snoop :
« You can take the boy off the hood but you can’t take the hood off the homie »
FROM THE CATERPILLAR TO THE BUTTERFLY TO THE CATERPILLARS
Il n’a pas le choix, il doit relever la tête, se battre et avancer, il doit mener son combat et porter son message d’espoir et c’est la voix d’un Pharrell éternel qui le scande : « We Gonna Be Allrrrrright », le tournant de l’album, un des morceaux et clips de l’année.
À son retour à Compton, rien n’a changé, ses amis ne le reconnaissent plus, les gangs, la violence, la pauvreté et le racisme sont omniprésents, tous les chemins sont bons pour survivre, même les plus sombres, le dollar n’a jamais été si cher.
C’est ce pèlerinage salutaire qui va le guider vers ce qui va devenir son vrai combat, se servir de son expérience en tant que papillon pour sauver toutes les chenilles, mais il va se retrouver face à une vérité implacable : il connaît le problème mais pas la solution.
De Kendrick à Pac, il n’y a qu’un bandana, l’album prend un virage pro-black, d’abord avec un clin d’œil à la Zulu Nation, le seul couplet rap de l’album étant spitté par… une femme noire, Rapsody. Puis avec l’uppercut The Blacker The Berry, seul son clairement hip-hop de l’album. Drake doit d’ailleurs se mordre les doigts de voir Boi-1da lâcher une production de ce calibre, le refrain énergique du jamaïcain Assassin – I’m In It sur Yeezus – finit de nous mettre K.O.
Kendrick a trouvé sa voie, le message qu’il veut faire passer, le but de sa musique et il accepte cette responsabilité, il veut changer les mentalités, croire en sa communauté, qu’elle croit en elle, qu’elle se respecte et qu’elle s’unisse contre le véritable ennemi. La version live de I amplifie un peu plus ce message d’espoir : le « nigga » du début d’album est devenu un « NEGUS ».
La dernière question de l’interview de Pac reste sans réponse, mais peu importe, comme lui, Kendrick n’est pas omniscient et n’en a pas la prétention, To Pimp A Butterfly n’est pas la solution, il est la voie vers la solution, un dialogue entre un papillon qui a connu le pouvoir et une chenille qui rêve de l’avoir.
“The caterpillar is a prisoner to the streets that conceived it
Its only job is to eat or consume everything around it, in order to protect itself from this mad city
While consuming its environment the caterpillar begins to notice ways to survive
One thing it noticed is how much the world shuns him, but praises the butterfly
The butterfly represents the talent, the thoughtfulness, and the beauty within the caterpillar
But having a harsh outlook on life the caterpillar sees the butterfly as weak and figures out a way to pimp it to his own benefits
Already surrounded by this mad city the caterpillar goes to work on the cocoon which institutionalizes him
He can no longer see past his own thoughts
He’s trapped
When trapped inside these walls certain ideas start to take roots, such as going home, and bringing back new concepts to this mad city
The result?
Wings begin to emerge, breaking the cycle of feeling stagnant
Finally free, the butterfly sheds light on situations that the caterpillar never considered, ending the internal struggle
Although the butterfly and caterpillar are completely different, they are one and the same. »
Le vinyle de To Pimp A Butterfly est dispo sur le shop ici.