KENDRICK LAMAR - DAMN. [CHRONIQUE]

KENDRICK LAMAR – DAMN. [CHRONIQUE]

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DAMN.Note

DAMN.

Kendrick est cette fois au centre de la toile : son sang, son ADN et ses pêchés comme miroirs de notre société, il rêve d’être immortel comme 2Pac et seul son art le sauvera de la damnation.


Sortie : 14 avril 2017

TOP TRACK : FEEL.

Non loin des buildings de la Section 8, un Kendrick Lamar juvénile se posait en observateur de sa génération A.D.H.D sous les traits de Tammy and Keisha.
Il nous a ensuite embarqués avec ses homies dans le van de sa mère pour un storytelling grandeur nature retraçant brillamment ses jeunes années dans la violence de Compton.
Fort de son nouveau statut de « sauveur » du rap, Kendrick a pris tout le monde à contre-pied avec le déstabilisant To Pimp A Butterfly, une expérimentation jazz/funk profondément ancrée dans l’héritage musical noir américain, une composition aussi complexe que la métamorphose de la chenille en papillon, allégorie qui sert de fil conducteur à un album dont l’ambition est de parler à toute une communauté, avec comme point d’orgue l’hymne contestataire Alright.

Comment rebondir après un tel chef d’œuvre ? Comment rebondir après 3 classiques ?
La pochette agressive, presque moche, les titres composés d’un seul mot en gras et le premier uppercut HUMBLE. nous ont rapidement donné quelques éléments de réponse : Kendrick a choisi une approche beaucoup plus directe et urgente. Que ce soit musicalement ou lyricalement, cet album sonne comme un retour au RAP, Cornrow Kenny devient Kung Fu Kenny, il se libère du superflu, plus de métaphore pour analyser la société, Kendrick se recentre sur Kendrick et les éléments essentiels qui font de lui ce qu’il est aujourd’hui.

Une introspection spirituelle et parfois divine qui va débuter dans une ambiance Tarantinesque, d’un ton solennel Kendrick nous raconte une anecdote dans laquelle il se fait tuer par une vieille femme aveugle qu’il tente d’aider, introduisant les idées de dualité et de damnation :

Is it wickedness?
Is it weakness?
You decide
Are we gonna live or die?

Des thèmes fondamentaux que l’on retrouve dans le paradoxe entre les différentes chansons :
Pride / Humble, Lust / Love, God / Duckworth
L’intro se termine avec le journaliste Geraldo Rivera sortant de son context une ligne d’Alright :

And we hate the popo, wanna kill us in the street fo’ sho’…
Oh please, ugh, I don’t like it.

C’est donc un Kendrick très énervé qui lance l’album en trombe avec l’énorme DNA. Sur une prod lourde et minimaliste de Mike Will Made-It, qui a clairement posé sa griffe sur l’album, Kendrick défend avec rage son héritage génétique et culturel face à ceux qui l’oppressent, la 2ème partie introduite par une autre citation de Fox News est encore plus dépouillée et abrasive, Kendrick se déchaine autour d’un sample chaotique « Gimme some ganja » nous rappelant les meilleures heures de NWA ou encore le très puissant One Blood de The Game.
Deux artistes qui font évidemment partie de son ADN, tout comme le vice, la violence ou la souffrance qu’il a dans son sang comme un héritage mais qui reflètent aussi le monde dans lequel il vit :

I got royalty, got loyalty inside my DNA
Cocaine quarter piece, got war and peace inside my DNA
I got power, poison, pain, and joy inside my DNA.

Une rage que l’on aurait aimé retrouver plus souvent sur l’album et qui refait surface sur le surprenant XXX. On ne va pas se mentir, on a tous eu peur du featuring de U2, au final c’est un des meilleurs morceaux de l’album, DJ Dahi, Sounwave et Mike Will Made-It nous ressortent les platines juvéniles de Dr. Dre avec des scratches abruptes et des sirènes de police, Kendrick est en roue libre après une partie plus minimaliste, ses variations de flow son toujours aussi impressionnantes, il rap comme s’il allait mourir demain, la dernière partie plus tamisée emmenée par un excellent refrain de Bono apporte encore plus de profondeur au morceau et prend un virage plus engagé :

Hail Mary, Jesus and Joseph
The great American flag
Is wrapped and dragged with explosives
Compulsive disorder, sons and daughters
Barricaded blocks and borders
Look what you taught us!
It’s murder on my street, your street, back streets
Wall Street, corporate offices
Banks, employees, and bosses with
Homicidal thoughts; Donald Trump’s in office
We lost Barack and promised to never doubt him again
But is America honest, or do we bask in sin?
Pass the gin, I mix it with American blood
Then bash him in, you Crippin’ or you married to blood?
I’ll ask again—oops—accident
It’s nasty when you set us up
Then roll the dice, then bet us up
You overnight the big rifles, then tell Fox to be scared of us
Gang members or terrorists, et cetera, et cetera
America’s reflections of me, that’s what a mirror does

Sounwave et DJ Dahi éteignent le feu du début d’album avec le nonchalant YAH., introduit par un tag vintage de DJ Capri qui fera plaisir aux hip-hop heads. Un morceau qui nous rappelle Section 80, tant dans le flow chantonné que dans le beat qui ne brille pas de prime abord mais que l’on apprécie de plus en plus au fil des écoutes. Kendrick est entouré par la tentation, les pêchés et supplie « Yah » (Yahweh) de l’aider à résister.
Kendrick est humain, il n’est pas parfait, sa vie de star l’a mis face à l’argent facile, la superficialité ou encore la luxure, une danse avec le diable décrite dans l’excellent Lust produit par BADBADNOTGOOD, DJ Dahi et Sounwave.
« I Need some water » pour se purifier, le quotidien de superstar du rap n’est pas si glamour que ça, on se reconnaît aisément dans cette routine grisâtre dans laquelle nous a enfermés la société moderne. A l’image de YAH., la boucle sombre et monotone n’interpelle pas forcément mais prend tout son sens lorsqu’on se penche sur les lyrics, elle passe d’un écouteur à l’autre tel un cercle vicieux, le pitch de la voix de Kendrick, tantôt aiguë tantôt grave sur « Let me put the head in » représente les appels du diable, souvent dessiné sous les traits d’une femme séduisante, un cycle infernal jonché de tentations faciles qui ressemble à une forme d’addiction menant souvent à la dépression.
Une dépression qu’il nous a précédemment décrite dans « U » sur To Pimp A Butterfly et sur laquelle il revient dans le meilleur morceau de l’album : le vital FEEL.
La prod mélancolique de Sounwave sublime un texte d’une sincérité rare, à l’image d’Eminem sur « If I Had », Kendrick débute toutes ses phrases par « I feel », simplifiant volontairement la rhétorique pour focaliser toute notre attention sur les sentiments négatifs qui s’entrechoquent dans sa tête, la dernière partie de la chanson est boulversante tant dans le flow que les lyrics :

Fuck your feelings, I mean this for imposters
I can feel it, the phoenix sure to watch us
I can feel it, the dream is more than process
I can put a regime that forms a Loch Ness
I can feel it, the scream that haunts our logic
I feel like say somethin’, I feel like take somethin’
I feel like skatin’ off, I feel like waitin’ for ’em
Maybe it’s too late for ’em
I feel like the whole world want me to pray for ’em
But who the fuck prayin’ for me?

Ce n’est pas la 1ère fois que la musique de Kendrick m’envoie des vibes d’ATLiens, pas si étonnant que ça, le mec est un grand fan d’André 3000.

Le très efficace 1er single HUMBLE., produit encore par Mike Will Made-It, trouve un second souffle dans le contexte de l’album, il complète le son PRIDE., volontairement plus lisse musicalement, donnant un contraste assez saisissant entre les titres et les contenus en totale contradiction. Comme dit en intro, HUMBLE. sonne aussi comme le retour de Kendrick à un rap plus direct et moins réfléchi. Musicalement Mike Will Made-It nous a concocté une prod à l’ancienne basée sur une boucle de piano surpuissante qui nous rapellera le son West Coast des années 2000, l’occasion pour Kendrick de lâcher quelques punchlines de gamin en réponse à Big Sean :

Hol’ up, hol’ up, hol’ up, hol’ up bitch, sit down
Lil’ bitch, hol’ up, lil’ bitch be humble !

Kung Fu Kenny se prend clairement moins la tête que sur ses précédents albums et prend simplement du plaisir à rapper. C’est d’ailleurs le projet de Kendrick dans lequel on peut kiffer le plus de chansons hors du contexte de l’album, pour le meilleur et pour le pire.

ELEMENT. est un autre exemple réussi de morceau très efficace. Très moderne et traditionnel dans sa forme, ce tube en puissance dévoilé en avant-première par Lebron James a des airs des meilleurs morceaux rappés de Drake, Kendrick enchaîne les quotables et attaques contre ces rivaux :

« What happens on Earth stays on Earth »
« I don’t do it for the ‘Gram, I do it for Compton »
« Last LP I tried to lift the black artists
But it’s a difference between black artists and wack artists »
ou encore :
« If I gotta slap a pussy-ass nigga, I’ma make it look sexy »
qui va certainement finir sur un t-shirt.
James Blake continue de m’impressionner à la prod après ses coups d’éclats sur Prima Donna de Vince Staples.

Ce côté plus accessible que je décris comme une qualité est en fait ce qui me dérange le plus sur cet album. Sur TPAB et même sur GKMC, il est vraiment difficile de kiffer la majorité des chansons en dehors du contexte de l’album, quelques singles évidents sont présents sur GKMC et seulement King Kunta et Alright sur TPAB, Kendrick a toujours pensé ses albums comme un tout et non comme la somme de ses parties et c’est ce qui les rend si spéciaux, il se coupe complètement du monde lorsqu’il enregistre afin de pouvoir exprimer sa créativité sans barrières et surtout sans influence. Dans cet album, Kendrick est beaucoup plus à l’écoute du monde extérieur, il prend la peine de répondre à Rivera et Big Sean, j’ai aussi eu l’impression qu’il cherchait à plaire à un plus grand nombre et, dans une moindre mesure, à passer en radio en se dirigeant vers quelque chose d’un peu plus facile musicalement.

Le morceau avec Rihanna est une déception, après l’excellent Anti, j’attendais une belle surprise de ce duo, la prod est plate, le sample déformé de Bruno Mars n’a rien d’exceptionnel, il manque une bonne ligne de basse, le refrain à l’autotune fait penser à une pâle copie de Travi$ $cott et les lyrics sont beaucoup moins intéressantes que sur les autres morceaux, finalement la meilleure chose sur ce son c’est le couplet de Rihanna.

L’autre raté qui sonne vraiment très pop et commercial c’est LOVE. avec le chanteur Zacari (que l’on a pourtant croisé sur l’excellent What’s Wrong de The Sun’s Tirade), un son que je zappe à chaque écoute, je me suis d’ailleurs demandé si Kendrick avait déjà fait un morceau aussi mauvais ? Poetic Justice ? Même pas…

On passera rapidement sur le décevant GOD., le titre et l’armada de producteurs (Sounwave, DJ Dahi, Cardo, Top Dawg & Yung Exclusive…) ne pouvaient annoncer que du très lourd, c’est un pétard mouillé et une de ces expérimentations vocales douteuses de Kendrick (U ?).

Finalement, malgré cette dream team à la production, l’ensemble est très bien produit mais je ne peux pas te dire que j’ai trouvé de beat particulièrement exceptionnel ou original ou que j’ai été vraiment bousculé musicalement, on est beaucoup sur de la 808 et des hi-hats, ce que tous les producteurs font en ce moment, on est loin de l’expérimental To Pimp A Butterfly et beaucoup plus proche d’une suite de Section 80 et GKMC.

Kendrick a clairement reculé d’un pas musicalement, To Pimp A Butterfly sonnant comme un OVNI dans sa disco, malgré tout, même quand il fait du rap plus « classique », Kendrick est meilleur que tout le monde, son « free flow » semble de plus en plus maîtrisé, il avait parfois des problèmes de rythme à ses débuts mais sur cet album il change constamment de vitesse, d’intensité, de tonalité, de mélodie, de voix, de pitch… et tout ça toujours parfaitement en rythme et surtout en cohérence avec les lyrics. Son flow n’a pas qu’une dimension rythmique ou mélodique comme chez la plupart des rappeurs, c’est presque une entité vivante à part entière qui se nourrit des lyrics pour mieux souligner leur sens.

Des lyrics toujours aussi poétiques, urgentes et vitales, l’extrême sincérité de Kendrick face à son miroir est aussi ce qui le différencie des autres qu’il accuse souvent d’être « fake » et quand on écoute des chansons comme FEAR., on ne peut que donner raison à Roc Marciano : « the realest shit I ever heard ».
Kendrick revient sur 3 périodes de sa vie, à 7, 17 puis 27 ans durant lesquelles il a ressenti une intense peur, de la terreur, d’abord celle d’un enfant battu, puis celle d’un adolescent face à la violence des gangs et enfin la peur de tout perdre, son succès, son argent et sa tête, un texte d’une sincérité bouleversante qui nous rappelle encore un certain Eminem, très loin des égotrips et de la testostérone du reste du game.

Comme son aîné, Kendrick est aussi particulièrement doué dans l’art du storytelling et il termine son album en beauté sur 3 prods de 9th Wonder.
DUCKWORTH. de son vrai nom nous révèle l’histoire fondamentale de la rencontre entre Top Dawg et son père il y a quelques années, le premier aurait pu tuer le second si le père de Kendrick, travaillant alors chez KFC, ne lui avait pas offert des chickens, comme quoi, sans quelques tenders, le meilleur rappeur de la nouvelle génération aurait été… Drake !!! Dur… La boucle est bouclée, retour à BLOOD.

Kendrick Lamar n’est pas qu’un simple rappeur, il approche ses albums comme des poèmes, pas comme une addition de chansons, des toiles riches et cohérentes qui ne dévoilent toutes leur couleurs qu’après de nombreuses écoutes.
DAMN. est pourtant plus direct que ses prédécesseurs, Kendrick est cette fois au centre de la toile : son sang, son ADN et ses pêchés comme miroirs de notre société, il rêve d’être immortel comme 2Pac et seul son art le sauvera de la damnation :

I’m talkin’ fear, fear of losin’ creativity
I’m talkin’ fear, fear of missin’ out on you and me
I’m talkin’ fear, fear of losin’ loyalty from pride
‘Cause my DNA won’t let me involve in the light of God
I’m talkin’ fear, fear that my humbleness is gone
I’m talkin’ fear, fear that love ain’t livin’ here no more
I’m talkin’ fear, fear that it’s wickedness or weakness
Fear, whatever it is, both is distinctive
Fear, what happens on Earth stays on Earth
And I can’t take these feelings with me
So hopefully they disperse
Within fourteen tracks, carried out over wax
Searchin’ for resolutions until somebody get back
Fear, what happens on Earth stays on Earth
And I can’t take these feelings with me
So hopefully they disperse
Within fourteen tracks, carried out over wax
Wonderin’ if I’m livin’ through fear or livin’ through rap

P.S. : Alors, qu’est-ce que tu as pensé de l’album après plusieurs écoutes ?
Comment tu le classes dans la disco de Kendrick ?

Pour moi :
1. Section 80
2. good kid, m.A.A.d city
3. To Pimp A Butterfly
4. DAMN.

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