PUSHA-T - DAYTONA [CHRONIQUE]

PUSHA-T – DAYTONA [CHRONIQUE]

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DAYTONANote

Album : DAYTONA
Artiste : Pusha-T
Sortie : 25/05/2018
TOP TRACK : Come Back Baby

 

1ère vague de ce qui s’annonce comme un raz-de-marée GOOD Music, DAYTONA est la version revue et corrigée par Kanye West du très attendu King Push.

Retour rapide sur le CV de Pusha T parce que j’ai vu pas mal de gens en parler comme si c’était un petit nouveau !
Clipse ça te parle ? Avec son frangin Malice et les Neptunes à la prod les Thornton nous ont balancé deux classiques incontournables des années 2000, Hell Hath No Fury est dans mon top 10.
Alors oui, c’est vrai qu’en solo Pusha T c’est finalement assez récent, sa 1ère tape Fear Of God c’est 2011 et son 1er album studio My Name Is My Name n’est arrivé qu’en 2013. Malgré quelques classic tracks (Trouble On My Mind, Numbers On the Boards, King Push, Nosetalgia…), sans décevoir, on peut dire que le rappeur n’a pas sorti l’album à la hauteur de son talent et on attendait donc tous King Push comme SON classique.

3 ans après la prometteuse mise en bouche Darkness Before Dawn et probablement pas mal de morceaux enregistrés entre temps, Kanye West est passé par là ! Il a goûté la marchandise et décidé qu’il pouvait faire mieux que les autres producteurs, il est fan des Clipse et sait le danger que peut représenter la voix charismatique de Pusha T sur les bonnes prods. Il décide donc d’emmener son lieutenant au Wyoming avec quelques collègues de travail qui s’appellent Nas et Kid Cudi –  difficile de ne pas être inspiré ! -, quelques mois plus tard, la Kanye touch a encore fait mouche.

On peut penser ce qu’on veut des opinions du gars ou même critiquer son niveau en tant que rappeur mais artistiquement soyons clair, c’est une des personnes les plus talentueuses de la musique, comme répondra Pusha T à une question sur les idées politiques douteuses de Kanye, finalement peu importe le nombre de conneries qu’il débite à la minute, la musique est tellement grandiose qu’on finit par l’excuser, un peu comme Zizou quand il a mis son coup de tête à Materazzi.
Tu te souviens de l’affaire Taylor Swift qui a failli flinguer la carrière de Ye ? L’excuse s’appelle My Beautiful Dark Twisted Fantasy… Qu’est-ce que tu veux dire ?

Il y a les idées, très contestées et il y a les choix artistiques, eux aussi contestés : il repart de 0 alors que tout l’album est enregistré ? Il change le titre ? Une photo de la salle de bain de Whitney Houston avant sa mort à $85 000 ? Seulement 7 tracks ?
Ces choix viennent évidemment de Kanye mais force est de constater que le résultat est sans appel, l’album est un uppercut et il n’y aurait certainement pas eu de K.O. sans K.W.
J’aime aussi l’idée d’aller à contre-courant de ce qui se fait, de privilégier la qualité à la quantité, l’album au single, la replay value au buzz, les critiques aux ventes, c’est aussi en ça que GOOD Music bouscule la culture.

Plus co-producteur que réellement beatmaker sur ces derniers albums, cette fois-ci Yeezy s’est vraiment remis sur sa MPC et son piano, comme à ses 18 ans, et nous a déniché quelques vinyles poussiéreux pour donner un peu de soul au rap poudreux de Push.
On retrouve ce découpage assez brute des samples allié à des drums patterns modernes, un son qu’il développe depuis My Beautiful Dark Twisted Fantasy et qu’il a adapté à Pusha T : pas de fioriture, laisse les intros et les interludes à Drake, Push n’est pas là pour chantonner, il doit écouler son stock presque inépuisable de punchlines et commence dès la 1ère mesure :

« Pullin’ up in that new toy
The wrist on that boy rockstar like Pink Floyd
Waving at rude boy, I’m waving at you, boy
Ran off on the plug too like Trugoy »

Quand l’instru démarre au bout de quelques secondes c’est la 1ère claque, la guitare haletante est entrecoupée de manière chaotique par des samples vocaux, le rythme cardiaque s’accélère et nous rend euphorique comme après un rail de coke.
On enchaîne avec le pluvieux The Games We Play qui m’a direct’ rappelé l’ambiance d’Only Built For Cuban Linx et l’hommage de Pusha T a encore plus de poids sur cette instru qui sonne très East, entre Roc Marci et Apollo Brown :

« To all of my young niggas, I am your Ghost and your Rae
This is my Purple Tape, save up for rainy days »

7 tracks c’est court mais la came de Kanye & Pusha T est tellement pure que plus on aurait risqué l’overdose ! L’enchaînement Come Back Baby / Santeria / What Would Meek Do? est le moment le plus marquant de cette année rap 2018.
Le sample soul du refrain de Come Back Baby nous fout des frissons avant que la basse oppressante nous remette la tête dans le caniveau, le flow métronomique de Push a quelque chose d’inexorable, le lancement du 3ème couplet quelques secondes avant le retour de la basse est d’un timing redoutable.
On attend le clip du très visuel Santeria dont le refrain en espagnol aurait très bien eu sa place dans un épisode de Narcos, la 2ème partie amenée par la basse de Mike Dean ressemble à une descente aux enfers ; s’ensuit la passe d’arme attendue entre le producteur et le rappeur sur le démoniaque What Would Meek Do? :

« Angel on my shoulder, what should we do?
Devil on the other, what would Meek do?
Pop a wheelie, tell the judge to Akinyele
Middle fingers out the Ghost, screamin’ Makaveli
Hail Mary, the scale fairy
Two sides to every coin so we bail ready »

Loin d’être un mauvais morceau, le duo avec Rick Ross est un peu en dessous, le piano n’est pas si « hard » et le refrain qui ressemble à du Cee-Lo est presque un peu trop pop comparé à la vibe très street de l’album.

Pusha T ne s’est jamais vraiment considéré comme un « rappeur » mais plutôt comme un dealer / businessman tombé dans le rap, pourtant, qu’il le veuille ou non, il est l’archétype du « real rapper ».
Artistiquement il ne rivalise clairement pas avec des Kanye, Kendrick, Drake ou Cole, il ne chante pas comme ce dernier, n’a pas des refrains aussi efficaces que Drake, ne compose pas des mélodies aussi complexes que Ye et ne change pas 50 fois de voix par couplet comme Kendrick mais quand il s’agit de charisme, flow et lyrics, Pusha T fait clairement partie du « top 5 » actuel, que Drake le veuille ou non.

Alors oui, il glorifie probablement son passé de dealer et tourne un peu toujours autour du même sujet, et pourtant, depuis toutes ces années, il réussit l’exploit de continuer à nous surprendre et nous intéresser grâce à des métaphores et des punchlines toujours inventives et efficaces :

« A fraternity of drug dealers ringing off
I just happen to be alumni
Too legit, they still lookin’ at me with one eye
The company I keep is not corporate enough
Child rebel soldier, you ain’t orphan enough
A rapper turned trapper can’t morph into us
But a trapper-turned-rapper can morph into Puff »

Est-ce que tous les artistes doivent forcément se renouveler ? Certains sont tellement bons dans un style qu’on a plutôt envie de les voir le perfectionner, je rêverai que Nas nous sorte 10 Illmatic, que Rae ne fasse que du mafioso rap avec RZA ou que Snoop continue à parler de weed sur le G-Funk de Dre
Pusha T reste sur les rails et c’est aussi une forme d’authenticité, dès le 1er couplet de l’album il s’adresse très clairement à sa fan base :

« This thing of ours, oh, this thing of ours
A fraternity of drug dealers ringing off »

au milieu du mumble rap superficiel, de la trap répétitive, des « top rappeurs » qui font appel à des ghostwriters et des caricatures tatouées de la tête au pied avec des cheveux roses, il reste quelques vrais MC comme King Push et il le fait savoir avec quelques attaques vicieuses, notamment sur le polémique Infrared :

« The game’s fucked up,
Niggas beats is bangin’,
Nigga, ya hooks did it
The lyric pennin’ equal the Trumps winnin’
The bigger question is how the Russians did it?
It was written like Nas but it came from Quentin
At the mercy of a game where the culture’s missing »

« Let’s cram numbers, easily
The only rapper sold more dope than me was Eazy-E
How could you ever right these wrongs
When you don’t even write your songs? »

Kanye a rempli le barillet et Push fait pleuvoir les balles sur ses cibles favorites : Drake, Birdman et Lil’ Wayne.

« It’s a nightmare, yeah
I’m too rare amongst all of this pink hair »

La nouvelle génération est une fois de plus ciblée et on perçoit clairement un début de changement dans le rapgame, un virage qui a démarré il y a quelques années avec la réussite commerciale de lyricistes comme Kendrick Lamar et J. Cole mais qui semble concrètement se matérialiser depuis la diss track 1995 qui a explicité la pensée de la majorité des fans de hip-hop dans un album « majeur », pas étonnant que Pusha T leur fasse un clin d’œil :

« Believe in myself and the Coles and Kendricks
Let the sock puppets play in their roles and gimmicks »

Il manquait une seule chose à Pusha T pour être dans la même phrase que Cole, Kendrick et Drake et cette chose c’est DAYTONA.

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Le vinyle de DAYTONA est dispo sur le shop :

Les vinyles des deux classiques des Clipse, Lord Willin’ et Hell Hath No Fury sont dispo sur le shop :

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