The Diary de Scarface est à chopper en vinyle sur le shop ici.
CLASSIC SHIT !!
Entre gangsta rap et pensées philosophiques, Face arrive à condenser en 13 chansons un univers musical riche et cohérent mêlant le funk Californien au rap de Houston pour un album qui le fera passer de réussite locale à légende du rap et accessoirement King Of The South.
BEST TRACKS : The White Sheet, Jesse James, G’s, I Seen A Man Die, One, Hand Of The Dead Body, Mind Playin’ Tricks 94 | TOP TRACK Mind Playin’ Tricks 94 |
1994 fut vraiment une année extraordinaire pour le rap.
Si tout le monde retiendra d’abord Illmatic et Ready To Die qui virent l’éclosion de deux des meilleurs MCs de tous les temps et de deux classiques intemporels du genre, à quelques centaines de kilomètres plus au Sud, et plus précisément dans la ville de Houston, on retrouvait le journal intime d’un tueur, une œuvre aussi inquiétante que profonde qui allait révéler l’un des rappeurs les plus charismatiques du rapgame en la personne de Scarface.
D’abord connu par son groupe Geto Boys, Face n’était pas vraiment considéré comme un artiste solo et ses premiers albums, malgré un relatif succès commercial, furent souvent considérés comme des side projects en attendant une réunion des Geto Boys.
À la sortie de The Diary, tout s’inversa, le charisme et la puissance de Face éclipsèrent complètement son groupe et pour cause, ce troisième album est certainement son plus consistent.
Le mot n’est pas choisi au hasard, en effet, la tracklist, l’enchaînement des morceaux, la durée de l’album, la cohérence musicale, l’équilibre entre gangsta rap et réflexion philosophique ainsi que le peu de featurings semblent avoir été savamment réfléchis pour construire un classique.
Si vous êtes fans de gangsta rap et du g-funk des années 90 mais que la superficialité des MCs californiens vous ramène inéluctablement vers les lyricistes de la grosse pomme, The Diary est clairement fait pour vous.
Bien que musicalement l’influence West Coast se veut très présente dans l’utilisation de pianos, de cordes, de basses rondes, de synthés stridents et de percussions agressives, le côté festif et parfois trop lisse du G-Funk est beaucoup moins marqué et on retrouve avec grand plaisir cette noirceur si lumineuse propre au rap New Yorkais, le tout est bien sûr assaisonné à la sauce texane pour se rapprocher de l’identité sudiste de notre hôte. Celui-ci tient d’ailleurs une place prépondérante dans la production de cet opus qui ne doit pas sa cohérence au hasard.
Lyricalement, c’est un condensé entre récits ultra réalistes, violents, choquants voir misogynes et une sensibilité omniprésente qui reflète le doute et la fêlure des grands artistes.
Il faut réussir à passer outre le gangsta rap caricatural pour vraiment saisir la profondeur des lyrics de Scarface, qui, au delà d’une faculté innée pour retranscrire le monde brutal dans lequel il a grandi, arrive à matérialiser ses tourments par des réflexions philosophiques sur la vie et surtout la mort, donnant une identité et une ambiance unique à cette œuvre.
Les gros rappeurs ont toujours eu une place particulière dans le game, on pense tout de suite au magnétisme de Biggie ou au flow mitraillette de Big Pun, Scarface ne déroge pas à la règle.
Sa voix grave et profonde semble tout droit sortie d’une cave et impose tout de suite le respect. D’abord hypnotisé par son charisme et sa puissance vocale, c’est ensuite en décortiquant son flow et ses variations que l’on se rend compte de l’immense talent de cette légende sudiste.
Techniquement parfait, il sait manier les intonations pour ne jamais lasser l’auditeur et varier son flow pour l’adapter au beat comme au récit. Il n’hésite pas à ralentir la cadence et adopter un ton plus posé pour magnifier la mélancolie de certains storytelling (Seen A Man Die) ou au contraire accélérer son débit et accentuer son agressivité comme dans The Diary.
Il a également cette capacité – de moins en moins présente chez les nouveaux rappeurs – à faire claquer les mots comme les meilleurs et ainsi capter toute l’attention de l’auditeur, presque hypnotisé par cette voix rocailleuse.
Rentrons maintenant dans le vif du sujet, c’est à la suite d’un piano solennel – qui n’est pas sans rappeler la froideur menaçante des musiques du Parrain – que Face lance les hostilités, pas de round d’observation, l’odeur du sang est déjà bien présente, l’ambiance gangsta est saupoudré de basses rondes et d’un rythme funky accentué par un refrain hypnotique « Rat tat tat tat to your ass is the mutha fucking flow ». Une première balle aussi soudaine que le flow de Face, et déjà le drap blanc (The White Shit) vient recouvrir le premier cadavre. Mais pas de place pour les larmes dans cet enfer de bitume, No Tears continue dans cette ambiance G-Funk, pas de surenchère, une basse ronde et quelques notes de clavier suffisent à soutenir le récit de Face qui remplit l’espace aussi bien physiquement que vocalement.
Un piano similaire à celui en intro vient annoncer la montée en température : plus menaçant que jamais, Scarface balance la première salve du skeud, une instru surpuissante, un flow aussi acéré qu’une faux, il n’est pas là pour plaisanter et n’hésitera pas à répandre la mort comme Jessie James.
T’as compris qui est le boss ? Face n’est pas comme tous ces fake G’s et c’est avec la nonchalance et l’autorité d’un baron de la drogue qu’il lâche un G-Funk made in Houston. Le synthé fumant n’a rien à envier aux meilleurs beats de Dre, vous croyez être à Cali mais vous vous méprenez, ici le ciel est bien plus sombre et on arrive à déceler une pointe de désespoir qui donne à ce morceau encore plus d’intensité.
Et c’est ce paradoxe qui rend cet album si unique, quand les Snoop, Ice Cube et autres Dre se complaisent dans l’égotrip sans profondeur et le triple W – Weed, Women, Weather –, Scarface laisse entrevoir une faille et une sensibilité presque imperceptible, tel un homme qui approche de sa mort et qui pour la première fois lâche une larme. I Seen A Man Die est sans conteste un des meilleurs morceaux de la carrière de Face, un storytelling chargé en émotion d’une intensité rare, une analyse humble et philosophique de notre existence et de nos responsabilités qui débouche inexorablement sur la mort du protagoniste :
« I hear you breathin’ but your heart no longer sounds strong
But you kinda scared to die and so you hold on
And you keep on blackin’ out cause your pulse is low
Stop tryin’ to fight the reaper, just relax and let it go
Because there’s no way you can fight it though you’ll still try
And you can try it ’til you fight it but you’ll still die
Now your spirit leaves your body and your mind clears
The rigormortis starts to set, now you outta here
You start your journey into outer space
You see yourself in the light but you’re still feelin’ outta place
So you standin’ in the tunnel of eternal light
And you see the ones you never learned to love in life
Make the choice, let it go but you can back it up
If you ain’t at peace with God you need to patch it up
But if you’re ready, close your eyes and we can set it free
There lies a man not scared to die, may he rest in peace »
Un grand classique du rap.
L’équilibre parfait de l’album se poursuit, après du gangsta rap sans concessions, une montée en température avec Jessie James, une virée du côté de Cali et un morceau plus profond et sensible, Face reprend les armes pour un funk surpuissant, One, le mode d’emploi du G :
« ONE, bring ya boy a bottle of wine
TWO, don’t forget the papers this time
THREE, go to Jo’s and pick up a dime
And 4 of the badiest bitches that ya azz can find !! »
Évidemment comme tout hustler qui se respecte, la gente féminine est prépondérante dans le discours de Face qui sait aussi se montrer charmeur et romantique comme dans Goin’ Down, une bonne track posée et sans prise de tête agrémentée d’un clavier un peu kitsch.
Une transition nous amène vers la fin du skeud, une conclusion exceptionnelle qui va débuter par le second single de l’album, Hand Of The Dead Body. Un son phénoménal qui réunit Houston et Cali, Scarface et Ice Cube, pour deux couplets d’anthologie sur un funk profond et menaçant servant de contre attaque face aux propos des médias et politiciens qui stigmatisent le gangsta rap.
L’excellent refrain du jeune Devin The Dude finit de rendre cette track indispensable.
À force de ne parler qu’à son journal, Face en devient presque schizophrène et comme en 91 son esprit lui joue des tours, hésitant constamment entre pêché et rédemption :
« Dear diary, I’m havin’ a little problem with my mind state
How many bullets would it take to change my mind, wait
Sometimes I want to end it but I don’t though
They tell me see my pastor but I don’t go
‘Cause they all be on this one street
So I take it on myself to thank him one deep
And give my money to the most needy
And never put it in the hands of the most greedy
Cause they puttin’ a price tag on a man’s word
And it’s a fashion show, so the men flirt
The world is endin’ so they try to make us switch fast
And they openin’ up these churches for some quick cash
And usin’ the money fo’ they new cribs
While brother Johnson just got kicked out where he lived
I follow no man, cause man be phony
My mind was playin’ tricks on me »
Le remix du Minds Playin Trick On Me de 91 reprend donc le même concept que l’original et le même sample de Isaac Hayes pour un résultat pourtant bien supérieur, plus frais et funky que son ainé, ça rythmique apparaît comme une évidence, caractéristique propre aux instant classics, un de mes morceaux rap préférés.
Et c’est dans un dernier effort et un up-tempo haletant que Scarface tourne la dernière page de son journal.
Entre gangsta rap et pensées philosophiques, Face arrive à condenser en 13 chansons un univers musical riche et cohérent mêlant le funk Californien au rap de Houston pour un album qui le fera passer de réussite locale à légende du rap et accessoirement King Of The South – désolé T.I ! -.
Une œuvre essentielle à absolument posséder, au même titre que Illmatic et Ready To Die, facilement dans mon top 3 des meilleurs skeuds sudistes et dans mes albums rap favoris.