The Cool est dispo en vinyle sur le shop ici.
CLASSIC SHIT !!
Ce poème urbain marquant du XXIème siècle allie une production sombre, éclectique et cohérente à un niveau lyrical rarement atteint mêlant métaphores, doubles sens et poésie.
Plus mature, plus profond et plus maîtrisé, ce second album réussit l’exploit de surpasser le classique Food & Liquor, un doublé qui donnera un statut particulier à Lupe malgré une 2ème partie de carrière ratée.
BEST TRACKS : Superstar, Paris, Tokyo, Gold Watch, Hip-Hop Saved My Life, Streets On Fire, Little Weapon, Dumb It Down, Put You On Game | TOP TRACK Dumb It Down |
Je n’ai cessé de repousser cette chronique, aujourd’hui, j’ai décidé de m’attaquer à l’un de mes albums favoris, The Cool, une œuvre complexe et sombre qui va bien au-delà du confinement du genre.
Food & Liquor fut une révélation et un vent de fraîcheur qui souffla sur l’année 2006.
Un nouveau venu anticonformiste allait secouer le moule aseptisé d’un hip-hop malade.
Très vite repéré par les plus grands, le potentiel du Chicagoan ne passa pas inaperçu puisque Jay-Z en personne le prit sous son aile, déclarant qu’il possédait l’égal de son talent. Shawn Carter ne fut d’ailleurs pas le seul impressionné par le génie de Lupe Fiasco, non, Kanye West et Pharell, entre autres, étaient également présents à la production de ce premier essai.
Mélangeant souvent cordes, pianos et samples soul à des lyrics intelligentes et conscientes, la musique de Lupe, chaude et sucrée, semble être accessible tout en restant fondamentalement complexe et véritablement créative.
Signant déjà quelques classiques (Hurt Me Soul, Kick Push, The Instrumental…) et décrochant même un Grammy pour le génial Daydreamin’, le résultat fut à la hauteur des attentes et les nombreux bijoux qui parsèment cette première galette l’érigèrent au rang de classique chez la plupart des spécialistes.
Si Food & Liquor fut unanimement salué, ce n’est pas forcément le cas du personnage. Très éloigné des clichés du genre, Lupe se qualifie de « nerd », il porte des lunettes, est un fan de skate -Kick Push- et de mangas -Daydreamin’- et n’hésite pas à écrire des textes très engagés. Loin du bling-bling du gangsta-rap, le MC fut vivement critiqué par certains médias, étiquetant sa musique de rap d’intello.
Ajoutons à cela une année très difficile marquée par la mort de son père, l’incarcération à vie d’un ami proche et la performance dédiée aux A Tribe Called Quest ratée, voici dans quel contexte allait naître la deuxième œuvre de Lupe Fiasco, The Cool.
Un album concept qui se construit autour d’un triangle vicieux dont le personnage principal est un jeune hustler du nom de Michael Young aka The Cool, né de la chanson éponyme sur Food & Liquor et sur He Say, She Say qui nous décrivait son enfance perturbée.
The Streets est la personnification féminine du vice et de la luxure exacerbée par la vie de rue, une femme dangereuse et avide de pouvoir qui va attirer Michael dans les griffes de Game, la quintessence du gangster.
Ce trio va former un poème urbain matérialisé par le cercle qui lie les trois symboles sur la pochette.
Comme le veut la tradition, les albums de Lupe Fiasco débutent toujours par un poème -pas ceux d’Atlantics !-, ici, le slam introductif rappelant la véritable signification du mot « cool » est suivi d’une seconde introduction chantée rendant hommage à son pote Chilly en prison et à son père décédé :
« If we could build a ladder that tall to come up and see you, we would
Cause we down here, and we miss you ».
Place maintenant à la véritable introduction rapologique, une ode à sa ville natale, Chicago, tant dans les lyrics que dans le flow rapide rendu célèbre par Twista, Lupe enchaîne les rimes imbriquées avec la souplesse d’un équilibriste sur un uptempo haletant.
Nouvel album, nouveau flow, nouvelle ambiance, une atmosphère plus sombre et pesante qui va débutée dès la track suivante.
Un piano grave nous laisse entendre le bruit d’une tombe ; un réveil funèbre auquel viennent s’inviter cœurs et violons pour former une orchestration aussi magistrale que dramatique qui permet à Lupe d’introduire les protagonistes de l’histoire en mêlant poésie, allégories et métaphores :
« I love the peace and I love the war (« peace »/ »piece »=gun, opposition peace/war):
I love the seas and I love the shore » (« seas »/ »C’s »=cocaïne, « shore »=rivage ou argot pour pute, opposition seas/shore, la contradiction du personnage est ici soulignée)
Et nous conter la relation tumultueuse entre Michael Young et The Streets :
« She’ll teach me how to fly
Even cushion my fall » (« cushion »/ »cause she »)
qui va évidemment lui causer sa perte.
Je pourrai débattre des heures de l’habilité lyricale de Lupe qui allie poésie, technicité et intelligence dans chacun de ses textes, ici, en deux lignes, il fait le lien entre les trois personnages, les trois allégories et son précédant skeud :
« Streets got my heart, Game got my soul
One time missing SUNSHINE will never HURT YOUR SOUL ».
L’histoire de The Cool sert de trame principale et va revenir tout au long de l’album.
Lupe, comme Michael Young, se voit comme un anti-héros, bien que signé chez Atlantics, il refuse d’entrer dans le moule de l’industrie du disque et cette ambiguïté se retrouve dans Superstar, le single de l’album.
Pourquoi se faire chier avec un refrain R’N’B mielleux quand on peut avoir un vrai chanteur ?
Le duo Lupe Fiasco/Matthew Santos ne déçoit jamais et nous livre ici une sorte de hit involontaire, ce piano discret additionné au hook dangereusement addictif créé un dosage parfait.
Tout en restant accessibles, les lyrics décrivent en surface le côté sombre de la célébrité mais font également un lien implicite avec le rejet de Michael Young des portes du paradis, un texte poétique très inhabituel en radio. Plus que les lyrics, c’est le flow très juste de Lu et ses gimmicks discrètes qui rendent ce titre encore plus évident sans jamais nous lasser.
Un peu comme sur Juicy avec Biggie, on rappe avec Lupe et on chante avec Matthew, un des meilleurs singles hip-hop des années 2000.
La track suivante est un bijou jazzy, le beat smooth de Paris, Tokyo aurait pu naître de la copulation entre A Tribe Called Quest et Pete Rock.
Cette petite escale laid-back, très loin de nous lasser, est directement suivie d’un retour vers le futur avec un Hi-Definition plus avant-gardiste et punchy en compagnie de Snoop et son flow chamalow qui n’apporte pas grand chose. Le refrain de Pooh Bear est lui excellent bien qu’un brin commercial et, à l’inverse de Superstar, on sent ici la carrure d’un hit qui n’en deviendra finalement pas un !
Pas forcément nécessaire, mais somme toute agréable, cette petite incursion mainstream ne ternit en rien la qualité de l’album.
La track suivante, Gold Watch est unique tant dans le beat que dans les lyrics. En effet, jouant encore sur la misconception du mot « cool », Lupe énumère les artifices que, lui, trouve cool, à l’opposé des clichés « bling-bling » qu’il balaye au refrain.
Le beat est délicieusement minimaliste et bordélique, les quelques notes de pianos servent d’appuis aux rimes de Lupe qui sont rattrapées, à intervalles réguliers, par un sample de femme qui gueule, un mélange bien barré qui prend encore plus de saveur avec la ligne de synthé du refrain et le « stay out the vicinity of » qui revient à la fin de chaque couplet, un bordel maîtrisé bien bandant !
Si l’ambiance semblait légèrement s’éclairée, le magnifique Hip-Hop Saved My Life nous renvoie une bouffée de mélancolie, la mélodie au piano est grave et dense et le refrain de Nikki Jean nous fait clairement penser à du Morcheeba, collant parfaitement au storytelling émouvant de Lupe qui rend hommage à Slim Thug, une de ses inspirations.
Classique.
Cette atmosphère pesante semble d’ailleurs s’aggraver au fil de l’album, comme pour prédire une fin inexorable, la prédominance des cordes et des pianos se confirme dans le bouleversantIntruder Alert, une de mes tracks favorites, qui nous confirme, une fois de plus, le talent de storyteller de Lupe dont le flow tend véritablement à fusionner avec le beat :
« He said nobody else ever loved him,
That’s why he’d get high enough to go touch the heavens above him,
Vividly remembers every pipe, every needle that stuck him,
Every alley he ever stepped in, every purse that he snuck in,
Every level of hell he’s been to and the one that he’s stuck in,
The one he can’t escape, even though it’s of his own construction,
Maybe you can relate, maybe you’re one of those that just doesn’t,
Maybe he doesn’t care, loves to allow these demons to come in »
L’alerte est suivie d’un chaos général, les rues sont en feu, Streets On Fire est un bijou expérimental inclassable, les violons inquiétants sont entrecoupés de scratchs et de percussions explosives ; de ce beat à la DJ Shadow se dégage une atmosphère catalaunique encore accentuée par le flow rapide de Lu et le refrain saccadé de Matthew Santos, comme s’il était en train de fuir.
Une voix chopped vient interrompre l’incendie, pas pour l’éteindre mais pour nous conter l’histoire de Terry, Khalil et Alex ainsi que de tous les enfants qui se battent et tuent avec des Little Weapons.
Le roulement de tambour militaire annonce le début de la bataille et les cœurs symbolisent le danger en approche, les coups de guitare et le flow de Lupe sont aussi puissant qu’une rafale d’AK-47, ses lyrics, crues et réalistes, dépeignent l’insouciance volée à ses enfants et la violence qui les entoure et les transforme, leur désespoir se retrouve, lui, dans le refrain épique de Nikki Jean, dommage que le 3ème couplet de Bishop G vienne légèrement ralentir la cadence.
Maintenant, place aux LYRICS.
Les deux tracks suivantes mériteraient tout simplement un prix de lyricisme.
Gotta Eat compare un hustler, ici Michael Young, aux Fast Food !!
Voici quelques lignes mémorables :
« He had a whole lotta cheese (« cheese » : slang pour argent)
Plus he was a mac he had a whole lotta seeds (« mac » : le burger ou le pimp, « seeds » : la semence ou les graines de sésame sur le burger !)
Made a lot of niggas fat, gave a whole lotta G’s » (il a rendu plein de niggas riches/les Fast Food font grossir, « G’s » : gangstas ou grammes !)
« He was a heart breaker and a law/large shaker » (les pimps brisent le cœur des femmes/les hamburgers provoquent des crises cardiaques ! « law shaker » : il ne respecte pas les loi, « large shaker » : milk shake en dessert !)
« Lovers call him king (Burger King), haters call him clown (Mc Donald) »
« Said he had beef and people want him dead (« beef » : bœuf ou les clashs)
He loved the hungry ones, was only scared of the feds » (« hungry ones » : ce qui veulent plus de drogue ou ce qui ont faim, « the feds » : les gens rassasiés ou les fédéraux !)
Le beat est aussi efficace que le texte, la boucle clavecin/guitare devient encore plus addictive avec les cœurs et les violons qui s’ajoutent au refrain.
Et si cet enchaînement de métaphores et de double sens ne vous ont pas encore retourné le cerveau, Dumb It Down va griller vos derniers neurones.
Ce morceau est tout simplement une leçon de lyricisme et de technique. Sur une instru archi minimaliste, Lupe enchaîne trois vers d’anthologie, mêlant métaphores, assonances et messages subliminaux en direction de l’industrie musicale de plus en plus pathétique et commerciale.
Ce titre est la raison pour laquelle votre rappeur préféré ne l’est plus, la raison pour laquelle Lupe est devenu le mien, la raison pour laquelle il est le meilleur lyriciste de sa génération, si ce n’est plus et la raison pour laquelle j’ai créé ce site.
Je pourrai écrire tout un article juste sur cette chanson tellement elle est complexe, mais j’avais oublié, c’est ce que j’ai déjà fait ! Si vous êtes fan de Lupe, venez checker l’explication des lyrics de Dumb It Down ici, vous n’avez qu’à cliquer sur chaque ligne et tout est expliqué et illustré.
Retour à nos moutons avec le très très lourd Hello/Goodbye, un titre expérimental assez impressionnant en compagnie du groupe de trip-hop UNKLE dans lequel est d’ailleurs passé DJ Shadow, on a même l’impression qu’il y est encore et ce chaos ambiant me fait un peu penser àStreets On Fire, la fin du morceau et l’arrivée des guitares électriques est juste jouissif !
Cette explosion sensorielle va déboucher sur une fin inexorable qu’on sentait de plus en plus proche, la mort de Michael Young.
Un nouvel uptempo très bien produit et traversé de cris spectraux « Dieee » permet à Lupe et Gem Stones d’accélérer leur débit et d’enchaîner d’impressionnants couplets, seule une balle pouvait les stopper.
Put You On Game est le titre le plus sombre de l’album, Game a inéluctablement triomphé et savoure sa victoire, les violons, les bruits de guns et le sample menaçant concluent définitivement une histoire dénuée d’espoir mais remplie d’éclairs de génie.
Fighters sert de conclusion à ce chef d’œuvre, Lupe remercie avec classe sa famille et tous ceux qui l’ont aidé dont Matthew Santos qui magnifie cette ballade des temps modernes avec, comme d’habitude, un refrain mémorable.
Go Baby est le rappel du public après un triomphe indéniable, et c’est sur un ton plus léger et dansant que Lupe Fiasco quitte les cieux pour rejoindre la terre.
Précisons, pour terminer cette chronique, que Lupe a certes sorti cet album sur major mais n’a bénéficié de quasi aucun soutien extérieur, seul Snoop Dogg vient poser un couplet sur Hi-Definition, les autres apparitions font partie de son équipe 1st & 15th et la majorité de la production a été assurée par son beatmaker maison, Soundtrackk.
Une preuve de plus que Lupe n’a eu besoin de personne et encore moins d’Atlantics pour sortir LE classique post-2000.