RÉVISE TES CLASSIQUES #4 - NAS / N.Y. STATE OF MIND

NAS – ILLMATIC [CHRONIQUE]

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L’énorme classique de Nas, Illmatic, est dispo en vinyle sur le shop ici.

IllmaticNote

CLASSIC SHIT !!

Si Illmatic représente avant tout la renaissance de Queens Bridge après le succès retentissant de The Chronic, beaucoup qualifient ce projet de meilleur album de l’histoire du hip-hop, il sera pourtant une bénédiction et une malédiction pour le reste de la carrière de Nas.

BEST TRACKS : NY State Of Mind, Life’s A Bitch, The World Is Yours, Halftime, Memory Lane, One Love, Represent, It Ain’t Hard To Tell TOP TRACK
Represent

Illmatic, un seul mot qui file des frissons à tout fan de real hip-hop.

Il était temps que je m’attaque à ce monument.
C’est surement le skeud que j’ai le plus saigné et pourtant je n’ai cessé de repousser cette chronique.
Pourquoi ? Parce que c’est peut-être l’un des albums rap les plus chroniqués du web, parce qu’il y a tellement à dire, parce qu’il faudrait presque un livre entier pour retranscrire fidèlement une œuvre qui, paradoxalement, brille par sa concision, parce que la plume divine de Nas mérite que j’aiguise la mienne ou tout simplement parce qu’il est difficile d’écrire la perfection.

Nous retournons donc en 1994, une année définitivement bénie pour le rap, la East Coast menée par les Rakim, KRS-One, Kool G Rap et Big Daddy Kane s’éteint petit à petit alors que le G-Funk de Dre et Snoop a définitivement pris d’assaut les ondes.
Si l’heure des Biggie, Wu-Tang et autres Mobb Deep n’a pas encore sonné, une révolution silencieuse est pourtant en train de se fomenter dans les rues de Queens Bridge.

C’est donc dans cet intervalle que débarqua le jeune Nasir Jones, 20 ans seulement et déjà parmi les plus grands.
Repéré par Large Professor qui lui fit faire ses premiers pas dans son groupe Main Source, c’est un couplet dans Live At The Barbeque, issu du LP Breaking Atoms, qui lança réellement la carrière de ce prodige du rap et c’est logiquement que l’on retrouve cet extrait en intro d’Illmatic, The Genesis.
Si Large Pro a joué un rôle prépondérant dans la naissance et la conception de ce classique, c’est MC Serch qui lui donna vie. Impressionné par le single Halftime sorti en 92 sur la bande-son du film Zebrahead, Serch, convaincu du talent inné de ce jeune rappeur, devint, sans le savoir, le producteur exécutif d’un des plus grands chefs d’œuvre de la musique.

L’impact commercial ne fut pas significatif mais le succès critique, lui, fut unanime et le magazine The Source, référence hip-hop à l’époque, lui décerna même l’inaccessible note de 5 mics.
Et pour cause, modèle de concision et de cohérence, Illmatic frôle la perfection musicalement comme lyricalement.
Précurseur d’une formule qui allait devenir un standard pour la majorité des disques rap, Illmatic fut le premier à rassembler les meilleurs producteurs de la grosse pomme sur un même enregistrement. Une dream team composée de Large Professor, Pete Rock, L.E.S, Q-Tip et DJ Premier qui permit de bâtir un édifice musical à la hauteur des skycrapers new-yorkais.
Plus qu’une addition de talents, c’est une véritable alchimie qui s’est formée autour de ce projet ; stimulés par le niveau de MCing de Nas, ces beatmakers de génie ont voulu lui offrir des productions à la hauteur de son talent et ils ont peut-être livré, sur cet album, les meilleurs beats de leur carrière !

Si on peut effectivement parler d’alchimie entre ces différents architectes sonores, que dire du duo Nas/DJ Premier
Une collaboration fructueuse qui donna naissance à quelques-uns des plus grands classiques du rap et qui débuta sur cet album.
C’est Serch qui remarqua d’abord cette connexion en déclarant :
« Premo et Nas, ils ont dû être séparés à la naissance. Ce n’est pas comme si ses beats complétaient ses rimes, ils se complétaient mutuellement. », aujourd’hui, la seule idée que Nas et DJ Premier puissent un jour se réunir pour un album commun représente pour beaucoup le saint-graal devançant même Detox !

NasSi tu ne connais pas DJ Premier, – qu’est-ce que tu fous là ? – ce véritable génie de la production est certainement le beatmaker le plus représentatif du son de la côte Est et si New-York devait avoir une bande-son, ça serait sans conteste N.Y. State Of Mind.
Avec cette première ogive, Premo va tracer les contours du rap New-Yorkais pour les années à venir : des percussions froides et profondes, une boucle de piano aussi puissante que menaçante et des scratches au refrain pour un résultat minimaliste et oppressant qui souligne des lyrics ultra complexes au réalisme glacial.

Premier contact avec Nasty Nas et premier moment d’anthologie, on comprend les comparaisons incessantes avec The God MC tant l’habilité lyricale du jeune rappeur de QB atteint des sommets.
Et bien que ce soit Rakim qui inventa le mot « flow » et qui fut le premier à adopter un débit en parfaite adéquation avec le beat, la tendance à l’époque suivait principalement deux courants bien particuliers : un flow ultra rapide et ragga et une élocution saugrenue popularisée par Das EFX ou encore KRS-One et plus à l’Ouest un flow nonchalant qui sacrifiait la complexité lyricale à une plus grande clarté rythmique, vous reconnaissez tout de suite Snoop Dogg.
Nas, lui, réussit à allier, storytelling, lyricisme complexe et intensité à un débit régulier et très en rythme avec le beat : 20 ans à peine et déjà l’assurance des plus grands, un flow d’une fluidité incroyable qui se jouait des temps de respiration, un sang froid et une confiance qui crevait les enceintes et surtout des lyrics d’un niveau rarement égalé.
Premo se rappelait récemment lors d’une interview de ses sessions studio à l’époque de l’enregistrement d’Illmatic et de cette improvisation phénoménale d’Esco sur le premier couplet de N.Y. State Of Mind qu’il débute par « I don’t know how to start this shit », avant de balancer :
« Rappers I monkey flip em with the funky rhythm I be kickin
Musician, inflictin composition
Of pain I’m like Scarface sniffin cocaine
Holdin a M-16, see with the pen I’m extreme »
Sur ce seul morceau, Nas nous livre certainement quelques-unes des lignes les plus marquantes du hip-hop :
« It drops deep as it does in my breath
I never sleep, cause sleep is the cousin of death
Beyond the walls of intelligence, life is defined
I think of crime when I’m in a New York state of mind »
« I got so many rhymes I don’t think I’m too sane,
Life is parallel to hell but I must maintain »
ENORME CLASSIC.

Si les thèmes abordés semblent aujourd’hui classiques, c’est tout simplement parce que cet album a véritablement révolutionné le lyricisme de l’époque et a influencé la manière d’écrire de nombreux rappeurs.
Dans ses récits, sans jamais se considérer comme un vrai gangster, – il se voyait plus comme un petit malfrat –, Nas détruisait l’image du B-Boy piqué à la testostérone pour dépasser la barrière de l’égo et ainsi atteindre un niveau lyrical bien plus élevé que l’on pouvait, pour la première fois, caractériser de poème de rue.
Sans véritable engagement politique à la Public Enemy, Nas nous propose une analyse lucide et poétique de la vie dans les ghettos, ces thèmes sont aujourd’hui devenus ceux par excellence des backpackers et rappeurs du monde entier.

Rarement un album n’avait eu une telle influence, et si les lyrics de Nas sont une source d’inspiration intarissable pour nombre de ses pères, d’autres ont aussi éclos grâce à lui, c’est le cas d’AZ, seul invité de l’album, qui décrocha son premier contrat à la suite de ce couplet monumental et de ce refrain désespérant de réalisme sur Life’s A Bitch :
« Life’s a bitch and then you die
That’s why we get high
Cause you never know when you’re gonna go », une prestation d’anthologie qui dépeint, sur une instru délicieusement laid-back, la détresse d’une vie qui rendrait presque la mort séduisante.
Et si cette noirceur propre au rap new-yorkais et ensuite popularisée par Mobb Deep semble transpirer de ces premiers morceaux, ne vous méprenez pas, la lueur qui sort de la trompette du père de Nas, Olu Dara, à la fin de Life’s A Bitch ne fait que souligner un optimiste et un idéalisme peut-être un peu trop absent dans un style de rap parfois étouffant.

The World Is Yours matérialise cette lumière et répond au désespoir ambiant sur une instru jazzy qui fait partie des meilleurs beats de Pete Rock.
Peut-être un des rares producteurs capables de rivaliser avec Premo, il nous sert une boucle planante ponctuée de scratches et d’un refrain désormais classique.
Une collaboration magique qui nous fait clairement regretter sa dispute avec Nas qui continue d’enchaîner les punchlines mythiques avec une facilité déconcertante :
« The beat makes me fallin asleep
I keep fallin, but never fallin six feet deep
I’m out for presidents to represent me (Say what?)
I’m out for dead presidents to represent me ».

Si l’on retiendra d’abord Halftime comme le morceau qui a fait éclore Nas, c’est aussi et surtout un égo-trip diabolique dans le plus pure style des battles, le rappeur enchaîne ses meilleures punchlines à un rythme effréné et pourrait bouffer pas mal de MCs :
« Cause I am an ace when I face the bass »
« That’s like Malcom X catching the Jungle Fever
King poetic, too much flava, I’m major »

Nous arrivons maintenant à la deuxième collaboration Premo/Nas et au deuxième moment de grâce.
L’osmose entre le beat et les lyrics est encore une fois saisissante, quelques notes de clavier et une voix féminine qui résonne comme un écho suffisent à nous téléporter à Memory Lane, Nas assure le bon déroulement de la visite :
« I rap for listeners, blunt heads, fly ladies and prisoners
Hennessey holders and old school niggas
Then I be dissin an unofficial that smoke woolie thai
I dropped out of Kooley High
Gassed up by a cokehead cutie pie
Jungle survivor, fuck who’s the liver
My man put the battery in my back, a difference from Energizer
Sentence begins indented with formality
My duration’s infinite, money wise or physiology
Poetry, that’s a part of me, retardedly bop
I drop the ancient manifested hip-hop, straight off the block
I reminisce on park jams, my man was shot for his sheep coat
Chocolate blunts make me see him drop in my weed smoke »
Les scratches sont encore une fois excellents et ne rendent que plus indispensable ce classique.

NasCertains caractériseront cet album de « bible » ou de « 10 commandements » du rap new-yorkais; en analysant bien chaque track, on peut presque affirmer que si un jour toutes les archives musicales devaient être détruites et qu’un seul album devait être gardé pour reconstruire le rap East Coast, Illmatic serait sûrement le plus adapté : Nas est le symbole du lyricisme de la côte Est, le premier à avoir popularisé le storytelling poétique, le premier à avoir regroupé les meilleurs producteurs du moment sur un même album, DJ Premier, Pete Rock et Large Professor, certainement 3 des beatmakers les plus représentatifs du son de la grosse pomme, musicalement, la froideur et le minimalisme de Queens Bridge se retrouve dans des morceaux comme N.Y. State Of Mind qui seront les précurseurs de groupes comme Mobb Deep ou le Wu-Tang, la tradition des battles de rue est représentée par Halftime, que nous manque-t-il ?
Peut-être l’autre branche du hip-hop de la côte Est, je parle bien sûr du mouvement Native Tongue.

Et bien non, One Love vient ajouter cette dimension à l’album avec un beat bien jazzy de Q-Tip qui assure le refrain de cette bombe qui rappelle les meilleurs moments d’A Tribe Called Quest.
Ce morceau est également un nouvel exercice de style, à l’image d’Eminem dans Stan, Nas organise ses lyrics sous forme d’une lettre adressée à son pote Cormega, à l’époque incarcéré. Ils se sont depuis embrouillés à cause du projet The Firm auquel Cormega devait participer mais suite à un désaccord avec Steve Stoute, l’ex-manager de Nas, il fut remplacé par Nature, ce qui lui a finalement évité un naufrage commercial.

Au milieu de ce champ de mines, One Time 4 Your Mind semble légèrement en dessous du lot mais reste excellent dans le style minimaliste si cher à QB.

Mais pas le temps de souffler, 3ème missile de Premo qui pose définitivement sa patte sur ce chef d’œuvre : Represent est mon morceau préféré de Nas, un des plus grands classiques du rap.
Le beat est difficile à décrire, ça ressemble à de l’orgue, encore une fois Premo nous déniche des samples incroyables et je me demande souvent d’où il sort ces sons ?? Est-ce qu’il va dans la rue et enregistre les bruits de New-York ? Écoutez son beat pour Canibus, Golden Terra Of Rap, et vous allez avoir cette même impression, c’est d’ailleurs le Premo que je préfère, certainement le plus génial, celui qui s’aventure très loin des sentiers battus, celui qui tape sur du verre sous l’eau pour balancer Come Clean !! Je m’égare… aussi jouissifs que le beat, l’arrivée de Nas qui commence à kicker, son flow intemporel et ce refrain fédérateur « REPRESENT, REPRESENT », comment ne pas se casser la nuque ?
Et quand je vous parlais d’alchimie au début de cette chronique, il est intéressant d’évoquer le making of de Represent, le beat originel n’était pas du tout celui-ci – il est d’ailleurs à retrouver dans la compile Beats Rejected je ne sais plus quel volume – et c’est après avoir entendu la prod de Q-Tip pour One Love que DJ Premier a revu sa copie à la hausse pour être au niveau des autres producteurs !

Celui qui est à l’origine de cet album vient le conclure de la plus belle des manières, Large Professor sort certainement sa meilleure production pour boucler la boucle, un sample de Michael Jackson et un saxo divin déroulent le tapis rouge pour les dernières lignes mythiques de Nas :
« My poetry’s deep I never fail
Nas’ raps should be locked in a cell
It ain’t hard to tell »

Si Illmatic représente avant tout la renaissance de Queens Bridge après le succès retentissant de The Chronic, beaucoup qualifient ce projet de meilleur album de l’histoire du hip-hop, il sera pourtant une bénédiction et une malédiction pour le reste de la carrière de Nas. Comme Jay-Z le soulignera dans Takeover :
« one hot album every ten year average », Illmatic sera l’étalon pour juger les albums suivants du prodige de New-York et jamais Esco ne réussira l’exploit d’égaler ce premier coup de maître.
Par la suite, souvent taxé de plus commercial, Nas expliquera plus tard que c’est à la naissance de sa fille qu’il décida de faire de la musique beaucoup plus « alimentaire » qu’« artistique » et les faibles ventes de ce premier album n’en sont pas innocentes.

Nas avait déjà tout dit, tout livré, tout donné, Illmatic fut souvent imité mais jamais égalé et restera comme LA pièce maîtresse du rap new-yorkais.

 

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