ATMOSPHERE

Bon ça fait maintenant un mois que ce magnifique site de Hip-Hop est en ligne et je me rends compte que je ne vous ai toujours pas parlé d’Atmosphere, ça craint.

La veille d’un Rhymesayers Tour à Londres qui s’annonce déjà mythique je crois qu’il est temps d’aborder la carrière du meilleur groupe underground.
J’avais prévu de chroniquer un de leurs albums mais bon, lequel ??
« Overcast ! », excellent mais peut-être trop indé et pas assez représentatif des sonorités du groupe.
« Lucy Ford », pourquoi pas, il y a des tueries dessus mais « God Loves Ugly » est peut-être meilleur ??
Ou alors le mélancolique « The Family Sign » ?
En fait, tous leurs albums sont excellents et je n’arrive pas vraiment à les départager et même si mon côté hip-hop sale bien minimaliste m’attire logiquement vers « Overcast ! », ça serait passer à côté de moments anthologiques!
J’ai donc décidé de vous guider à travers une initiation au monde à part de Slug et Ant, nous allons traverser la froideur du Minnesota hantés par le fantôme de Lucy qui nous accompagnera tout au long de ce voyage atmosphérique.

Nous retournons en 1997, à votre gauche la West Coast fait le deuil de Tupac mais continue à se complaire dans son Gangsta rap sans profondeur, à votre droite une étoile s’éteint…
Avançons maintenant un peu plus au nord, la scène de Minneapolis – pas vraiment un vivier rapologique – voit les premiers pas du label Rhyme Sayers.

Premier stop, « Overcast ! », une ambiance bien poisseuse, des craquements de vinyles, du scratch, des boucles bien minimalistes, putain quel kiff!
Je me suis toujours demandé comment le Ant qui nous sort parfois des vieux samples country a pu nous pondre des beats aussi crasseux et finalement assez proches d’un Havoc ? Bah en fait la réponse est très simple : Ant a produit tous les albums d’Atmosphere en intégralité sauf « Overcast ! » – et « Lucy Ford » – qui est lui coproduit par Spawn.
Première rencontre avec le jeune Slug, adepte des battles, il est très à l’aise au mic et on sent tout de suite qu’il s’agit d’un MC particulier, une voix claire et charismatique, un flow excellent souvent empli de rage et de folie mais aussi de détachement et de sens de l’humour, il capte toute notre attention et outshine clairement Spawn et Beyond qui permettent de contrebalancer le flow volatil de Slug avec des voix plus graves et des flows plus posés.
Si tu cherches la technique et les assonances des rappeurs East Coast, retourne écouter le p’tit blond (je ne parle pas du brun sans talent), si tu cherches l’égo trip du Gangsta rap, Dre sera toujours là pour toi, même à 40 ans! Ici l’égo est mis de côté, c’est d’ailleurs ce que je préfère chez Slug, beaucoup d’autodérision, d’introspection, de quête de soi, de désespoir, de mysticisme, de réalisme, d’humour noir, de cynisme, d’inventivité, tout ça recouvert d’un soupçon de poésie et d’un talent pour le storytelling rarement égalé.
Une ambiance très particulière de par ces textes désenchantés et cette production oppressante émane de ce premier album, une cohérence que l’on retrouve finalement que dans les classiques et qui se voit déjà parsemée ça et là de quelques moments mémorables de la carrière du groupe.
« Scapegoat » condense en 3 minutes 53 la rage et le désespoir de Slug qui associe des idées irréalistes censées servir d’excuses au mal qui ronge notre monde :
« It’s sleep, life, and death
It’s speed, coke, and meth
It’s hay fever, pain relievers, oral sex, and smokers breath
It stretches for as far as the eye can see
It’s reality, fuck it, it’s everything but me » sur une instru de la trempe d’un « Shook Ones » ou d’un « Beware » de Big Pun, une boucle de piano sombre et minimaliste, la base des meilleurs beats : un classique hip-hop.
Petite pause, un p’tit joint pour capter les vibrations : « I’m sparked, waiting for the dark to hit », deuxième moment de grâce, « Sound is Vibration », une harpe magique qui féérise les paroles abstraites et poétiques des deux rappeurs défoncés qui nous pondent des lignes bien illuminées, un texte sans queue ni tête que je kiffe totalement!
« Your voice should travel without the babble of the average emcee
So listen please use discretion when you breath
Sound is vibration, I choose to use it with a vision
And then comes the style and precision »
Ok pour le deuxième trajet, nous voyagerons sans Spawn et Beyond, pas convaincus du potentiel du groupe, on entre donc dans une nouvelle atmosphère qui va trouver sa véritable identité en duo.
On repart pour une route qui va durer 4 ans, sur le trajet vous aurez pu apercevoir le premier de la série des « Sad Clown », des petits EPs contenant quelques perles qui vont parsemer la discographie du duo, les premières images subliminales du fantôme de Lucy sont également perceptibles et notre deuxième arrêt voit logiquement l’apparition d’un personnage qui va être prépondérant (un peu trop parfois) dans l’écriture du Sad Clown : « Lucy Ford » – jeu de mot pour rappeler Lucifer -, la personnalisation de la culpabilité mais aussi du ressentiment de Slug envers ses ex-girlfriends.

Ce recueil de 3 EPs est radicalement différent d' »Overcast ! », la mutation d’Ant a commencé, il gère maintenant seul la majorité de la production et les boucles s’enrichissent, les instrus sont plus mélodieuses, les cordes et autres samples blues sont plus souvent utilisés et cette enveloppe musicale est finalement beaucoup plus représentative de l’identité du groupe et de ses origines.
Le talent de Slug est lui toujours bien là et se développe même par rapport à « Overcast ! ». Son flow, tantôt chantant à l’image d’un Brother Ali dans « Between The Lines », tantôt agressif et technique dans « Tears For The Sheeps » ou plus touchant et plus proche du « spoken word » dans « Don’t Ever Fuckin Question That », une poignante analyse d’un amour impossible :
« I love you, don’t ever fucking question that
That’s why we’ll probably never get along
If I was better at finding the right words to say
I wouldn’t need to write these motherfucking songs », confirme que Slug est un MC à part.
L’excellent « Guns and Cigarets » nous gratifie d’un refrain digne des meilleurs moments de De La Soul :
« I wanna be bigger than Jesus and bigger than wrestling
Bigger than the Beatles and bigger than breast implants
I’m gonna be the biggest thing to hit these little kids
Bigger than guns, bigger than cigarettes ».
Slug conclue l’album en nous contant sa vie sur une magnifique boucle d’Ant, it’s nothing but sunshine!

Le prochain arrêt est beaucoup plus sombre, le ciel se couvre de nuage, Slug, plus torturé que jamais, met ses émotions à plat sur ce nouvel essai au titre déjà plus que pessimiste : « God loves Ugly ».
Ant élargit ses influences pour le meilleur et pour le pire puisque le principal défaut de ce troisième skeud est son hétérogénéité dans sa qualité comme dans son choix d’instrus, les mauvais titres comme « Flesh I Self Divine » et « Breathing » viennent côtoyer de véritables bombes comme l’intro « Onemosphere », la boucle de piano encore une fois classique de « God Loves Ugly » – à classer aux côtés d’un « Genesis » ou d’un « Drop a Gem on Em' » de Mobb Deep – ou encore l’énorme « Fuck You Lucy », un des titres les plus touchants du hip-hop dans lequel Slug nous prouve sa faculté à transmettre ses émotions comme personne et à détruire toutes les barrières façonnées par l’égo.

Quant certains pondent de gros égo trips à base de « I’m the best rapper alive », d’autres tournent ce trop plein de testostérone à la dérision :
« Yeah I got some last words, FUCK ALL OF Y’ALL!
Stop writing raps and go play volleyball! »
Magique! Punchline tirée de l’énorme « Trying To Find The Balance » – un des meilleurs titres d’Atmosphere – très représentatif de la beauté de notre quatrième visite, une escale musicale qui accentue un peu plus la variété des beats d’Ant qui ajoute quelques samples à son arc comme en atteste le très bon « National Disgrace » au sifflement déroutant.
Même si les beats sont parfois trop chargés et peuvent faire de l’ombre à Slug qui devrait plutôt être mis en exergue, ce « Seven’s Travels » se veut très solide et dans la continuité de l’excellente discographie du groupe.

Nous sommes maintenant arrivés en 2005, la réputation de notre groupe du Minnesota n’est plus à faire et la flopée de shows à travers le monde ainsi que leur plus que solide discographie ont finit de les installer au panthéon du hip-hop underground.
A l’arrivée de ce cinquième album, notre duo n’a plus grand-chose à prouver et c’est un Slug coiffé comme De Niro dans « Taxi Driver » que l’ont retrouve assis sur une chaise tête baissée sur un fond verdâtre surplombé d’un titre plus qu’ironique : « You Can’t Imagine How Much Fun We’re Having », ouf, le style du groupe est sain et sauf et l’on sait déjà que l’on va retrouver le cynisme si plaisant du Sad Clown!
Sans changer de formule, ce cinquième album se démarque par quelques productions plus chaotiques et moins musicales qu’à l’accoutumé rappelant parfois Public Ennemy. Pas vraiment fan de ces ambiances incohérentes et bruyantes, je préfère les plus classiques « Say Hey There » dans le style de feu J.Dilla, la tuerie « Smart Went Crazy » dans la lignée du « Tight Rope » de Brother Ali ou encore le magnifique « Pour Me Another » qui n’a rien à envier aux prods soulfoul d’un Kanye West.
D’abord plutôt mitigé sur cet album de par ses titres plus bruyants que mélodieux, l’équilibre apporté par ses morceaux plus classiques (cordes, piano, sampling, voix pitchées…) donne finalement beaucoup de profondeur à ce skeud qui se bonifie au fil des écoutes.

Un peu de légèreté en attendant la nouvelle escale avec les « Seasons EPs » qui nous gratifient de quelques superbes titres comme le désormais classique « Sunshine », un storytelling simple et sans prise de tête sur une boucle de piano qui vous mettra de bonne humeur, le génial « God’s Bathroom Floor » qui me fait beaucoup penser aux Cunnin’, le très planant « The Rooster » – un de mes titres préférés d’Atmosphere -, le magnifique « Happy Mess » ou encore le touchant « Good Daddy » traitant du sujet de la paternité désormais cher à Slug.

3 ans plus tard, le groupe a bien évolué et un changement majeur va marquer un virage (pas trop serré quand même) dans le style de notre duo qui va intégrer pour la première fois des instruments live dans ses productions, rendant ainsi le son d’Atmosphere encore plus atmosphérique et organique.
Les titres sont plus mélodieux, plus lancinants, plus chargés, Slug est plus posé et les passages instrumentaux sont plus présents.
Et malgré quelques ratés – un « Dreamer » au beat très « générique de la PJ » ou les quelques tentatives électros d’Ant « Shoulda Known » et « Can’t Brake » – l’ensemble se veut une fois de plus parsemé de magnifiques morceaux dont seul Atmosphere a le secret comme le poignant « Yesterday » sur le père de Slug, le très lourd « Glasshouse » ou encore les deux excellents derniers titres qui concluent ce « When Life Gives You Lemons, You Paint That Shit Gold » peut-être un poil trop chargé.

Cette mutation de Ant se poursuit avec « To All My Friends, Blood Makes The Blade Holy » – en revanche, pas d’évolution pour les titres, toujours à rallonge ! -, un regroupement de plusieurs EPs distribués seulement pendant les concerts – à la manière de « Lucy Ford » – qui atteste d’une maturité musicale clairement affichée par la superbe instru de « The Major Leagues ». Le beat pianoté de « The Best Day » est aussi à classer parmi les meilleurs morceaux du groupe.
La prépondérance de guitare électrique et de rythmiques plus lourdes esquisse le style de leur dernier excellent LP en date « The Family Sign ».

Notre point d’arrivée, vous l’aurez compris, est donc ce « The Family Sign » qui, comme l’indique son titre, est centré sur le rôle de père de Slug.
Une ambiance très lourde et mélancolique se dégage de ce dernier album à l’atmosphère très automnale. Slug est maintenant un artiste accompli qui n’a plus rien à prouver, beaucoup plus sage, il ne force plus son flow et pose avec classe et facilité sur ces beats très travaillés.
L’énorme intro « My Key » nous rappelle tout le chemin qu’a parcouru ce groupe et à quel niveau il est arrivé.
Cette mélancolie transpire également du poignant « The Last To Say », chanson préférée de mon petit frère sur l’album ; ) La mienne c’est bien sûr « Became » tout simplement sublime, une des plus belles instrus que j’ai pu entendre et un storytelling métaphorique qui accentue un peu plus l’émotion procurée par ce chef d’œuvre.
Le premier single de l’album « Just For Show » est excellent et permet d’ajouter un brin d’énergie au début du skeud qui partait un peu en dépression musicale!
J’ai adoré « She’s Enough » depuis que j’ai vu son clip, trop classe le fils de Slug et surtout big up à la canteen-keeper face de Bro Ali !!
La boucle de « Bad Bad Daddy » est un peu courte et soulante à la longue contrairement au mystique « Millenium Dodo », encore un énorme beat et petit clin d’œil de Slug à Gangstarr au passage !
« Who I’ll Never Be » est une sorte de « Guarantees » ratée mais le très très lourd « Brighter Days » rattrappe tout de suite la légère baisse de niveau quand les très réussis « Your Name Here » et « You Can Save Me Now » parfont cette ambiance délicate et contemplative.
Nous finissons ce petit voyage atmosphérique avec la nostalgie du superbe « My Notes » qui clôt de la plus belle des manières ce huitième album d’un groupe que l’on peut désormais classer parmi les meilleurs aux côtés des Gangstarr, Cunnin’ ou autres Outkast tout comme son MC unique que je met facilement dans mon top 10 et qui est, pour moi, le meilleur pour faire passer des émotions à l’auditeur.
Merci à mon grand-frère pour m’avoir fait découvrir – une fois de plus – une merveille musicale !