Sene - Brooklyknight

SENE – BROOKLYKNIGHT [CHRONIQUE]

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BrooklyknightNote

BROOKLYN’S BACK

Rarement le reflet de New-York n’a semblé si délicat et si on peut reprocher aux jeunes artistes un manque d’identité, Sene possède bien la sienne et a réussi à insuffler à ce projet une âme et une richesse implicite qui vous apparaîtra à la lueur des réverbères de Brooklyn.

« It’s about time that this Brooklyknight took the mic. »

BEST TRACKS : Brooklyknight, Spoiled Rotten Apples, Backboards, Footprints TOP TRACK
Brooklyknight

Si j’ai créé ce site c’est avant tout pour vous faire découvrir des perles méconnues comme Brooklyknight.

Je ne suis pourtant pas le genre de listener à snober les artistes mainstream et à étaler ma science en ne parlant que de rap indé, non, je suis aussi fan du charisme de Jay-Z, du génie de Kanye West ou encore du gangsta rap dépassé de 50 Cent.
Cependant, la tournure du rap mainstream ne me correspond plus vraiment et éteint petit à petit la flamme que j’ai pour ce genre qui semble définitivement avoir atteint son paroxysme dans les années 90.
Entre Rick Ross et Wacka Flocka en passant par Tyga, Nicki Minaj et DJ Khaled, le rap ressemble de plus en plus à un business, à des années lumières de cet art subversif qui a vu le jour dans les rues de New-York.

J’ai toujours eu un faible pour la scène de la grosse pomme, bastion des meilleurs MCs de tous les temps – Biggie, Jay-Z, Nas, Rakim, Big L… –, la froideur de Brooklyn se retrouvait dans des instrus délicieusement minimalistes servies par des producteurs qui maîtrisaient aussi bien l’art du sampling que la science du scratch et des cuts.
Et si aujourd’hui la Left Coast a pris la relève de la West Coast, celle-ci a indéniablement trouvé son sauveur en la personne de Kendrick Lamar et son collectif « Black Hippy », le Sud est lui porté à bout de bras par un Big K.R.I.T à contre-courant du virus Trap Muzik alors qu’à l’Est on a bien du mal à se renouveler.
Ses kings étant toujours sur le trône, la tendance est aujourd’hui dictée par le phénomène A$ap Rocky qui prône un rap intégralement basé sur le swagg, porté par un flow délibérément nonchalant et des instrus ultra synthétiques et planantes.
C’est ainsi que New-York, et plus particulièrement Harlem, s’est éloigné de ses valeurs originelles qu’étaient le MCing et les lyrics, R.I.P. Lamont Coleman.

SeneSene n’est pas le nouveau Biggie, ni le futur Big L, mais cet album est un diamant brut qui va à l’encontre de ce rap stérile et qui fait un bien fou à la scène de Brooklyn et à nos oreilles !
Vous ne connaissez certainement pas ce jeune rappeur, véritable globe-trotter, il a d’abord sorti un projet sur un label japonais, puis chez les Suisses de Feelin’ Music avant de déserter sa côte pour se rapprocher du soleil Californien.
C’est là où il a pu rencontrer Blu et être repéré par le label de L.A., Plug Research, pour enfin sortir son premier véritable album, dont le titre illustre bien la beauté, « Brooklyknight ».

Empreint de poésie et de mélancolie, c’est bercé par des beats expérimentaux mêlant synthés, samples et instruments organiques que l’on pénètre dans cet univers nocturne à l’étrange teinte violette, comme un rêve crépusculaire aux abords un peu flous.
Une incertitude que l’on retrouve dans le charme et l’amateurisme des productions qui donnent un caractère très indé et parfois difficile d’approche à ce projet plus riche qu’on ne le pense, le genre d’album qui s’apprécie de manière exponentielle et dont les subtilités apparaissent au fil des écoutes.

Un voyage qui débute avec une véritable expérience sensorielle, « The Feel Real », un bijou dérangeant qui va vous bousculer, une traversée nocturne des rues de Brooklyn, le genre de morceau expérimental que je vais pouvoir passer en soirée complètement bourré et que personne ne va kiffer à part moi avant de balancer un bon gros « Vous comprenez rien au rap ! ».
Des bruits inquiétants amplifiés par des échos au refrain créent une atmosphère très particulière, comme si on était pris d’hallucinations et de paranoïa, un discret saxophone vient éclairer ce cauchemar avant le titre éponyme.

« Brooklyknight » représente parfaitement l’atmosphère de l’album, ses synthés funky semblent chargés en mélancolie et on retrouve toujours ces éléments auditifs qui viennent nous interpeler comme ce sample « The Jungle » qui revient à intervalles réguliers ou encore ce refrain qui n’a absolument rien à voir avec les cross-over qui polluent la majorité des albums mainstream mais qui, au contraire, élève cette track à un autre niveau.

L’expérimentation est partie prenante dans ce voyage singulier, on la retrouve sous plusieurs formes, dans une basse bondissante magnifiée par quelques cœurs – « Cult Classic » – ou encore dans un synthé décalé dans le légèrement en dessous Colours.

On commence à s’habituer à la voix claire de Sene qui s’avère être un bon rappeur ; une bonne élocution, des lyrics sensibles et poétiques bourrées de double-sens et d’allitérations et bien évidemment un quartier au cœur de cet album, Brooklyn.

Les beats semblent intemporels, sur un faux rythme, comme si les drums avaient un temps de retard sur la mélodie, comme si on évoluait dans une autre dimension ; et si je ne suis pas un fan de la première heure des beats synthétiques, cet album est un modèle du genre, au même titre que « Together Apart » de Grieves, ils amènent ici une véritable identité et une originalité incontestable : entre froideur mécanique et émotion, « Spoiled Roten Apple » et « Holiday » nous donnent autant envie de danser que de rêver, les parties chantées sont vraiment excellentes et amènent un vrai plus à ces morceaux.

Si l’ultra-sensibilité de ce jeune artiste se ressent tout au long de ces 13 tracks savamment choisies, on décèle également une véritable passion pour la culture hip-hop et l’art originel du sampling.
En atteste la boucle délicatement pianotée de « Footprints » qui nous plonge dans une atmosphère candide magnifiée par un sublime refrain. Et ce n’est pas un hasard si ce morceau nous rappelle le splendide « Hey Young World » de Fashawn, le son de la Left Coast semble avoir inspiré Sene, on peut presque ressentir la patte d’Exile sur le planant Time! et on retrouve logiquement son compère Blu sur LE son de l’album, « Backboards ».

Mon morceau préféré du moment, le beat est produit par Sene lui-même qui nous a déniché un sample de violon magique et semble avoir ressuscité les Beatles juste pour ce refrain divin. Que dire de l’arrivée de Blu qui lâche un énorme couplet épaulé par des cœurs discrets, des frissons assurés.

« Artificial Family » complète cet équilibre entre sons synthétiques et beats plus traditionnels en se satisfaisant d’une boucle et de scratches bien placés après un très bon hook.

La cohérence de cet album est frappante tant dans son ambiance onirique que dans l’harmonie de ses parties chantées mais c’est surtout grâce au bon sequencing que le résultat semble si homogène et pourtant si limpide.
Sene a méticuleusement pensé le déroulement de cet album à l’image de cette fin qui ressemble à un coucher de soleil et qui débute avec la beauté du piano et du refrain de « It’s Been Said », simplement balisés par quelques scratches discrets.
La lune semble se dessiner et c’est en deux parties que les étoiles remplacent l’étoile : « The Fortunate Passport » voit Sene se livrer sur sa vie et ses sentiments sur un beat dense et lancinant avant le sublime « Music Man » qui fait écho à ce premier postlude.
Le chant se marie à la perfection à ce beat profond pour une conclusion à l’image de cet album, unique.

Rarement le reflet de New-York n’a semblé si délicat et si on peut reprocher aux jeunes artistes un manque d’identité, Sene possède bien la sienne et a réussi à insuffler à ce projet une âme et une richesse implicite qui vous apparaîtra à la lueur des réverbères de Brooklyn.

« It’s about time that this Brooklyknight took the mic. »

 

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